• 2016 I fought the law, and the law won

    À diffuser : I fought the law, and the law won - 04 avril 2016

    Mouvement Inter Luttes Indépendant 

     

    « Les syndicats, les profs, les partis, tous se félicitaient. On a gagné. J’ai jamais été autant déçu. Pour moi, c’était la défaite. »

     

    « Tout se passait comme si chaque jour, étaient poussés de force dans l’irrégularité un nombre toujours plus grand de malheureux qui se voyaient perdus s’ils se soumettaient à cet ordre et condamnés à une existence de boue s’ils ne s’y soumettaient pas. » 

    Maurice Blanchot, Le Très-Haut (1948)

     

     

    « Le CPE, ça a été comme ma première fois : je m’en souviendrai toute ma vie. Je m’en souviens, je m’en souviens.

    Le Lycée : un endroit paradoxal. Après l’espace concentrationnaire du collège, il apparait comme un vent de liberté. Alors j’y étais , dans un lycée, au moment du CPE. Une espèce de réseau de bâtiments enfilés, vaguement vitré, vaguement ferraillé. Puis c’était avant les dispositifs de sécurité, avant Vigipirate rouge et l’occupation militaire. Enfin, c ’était l’amorce. L’année de ma quatrième, j’avais eu le droit aux minutes de silence pour les États-Unis. Les airs graves des profs, on commençait déjà à hocher la tête d’un air entendu : la menace arrive, c’est terrible, quelle barbarie. Enfin, c’était la version officielle, accompagnée de l’obligation de visionner les images en cours. Dans la rue, dans les couloirs, c’était plutôt l’indifférence mêlées à une haine envers les États-Unis. On se le disait : « chèr pour les ricains », « c’était leur guerre hein ». Puis on ne voyait pas trop pourquoi on s’indignait de ça plutôt que de ci. Tout cela pour dire : à cette époque : bloquer, se réunir, manifester était plus facile. Puis, le collège de tess dans lequel j’étais était quand même bien plus sensible aux massacres palestiniens et autres joies postcoloniales que le « oh-mon-dieu-la-démocratie-est-attaquée ». Vulgaire, peut-être, mais réalistement véritable pour les petits collégiens qu’on était.

    Alors je l’ai bloqué mon lycée. Avec allégresse. Et dans la rue aussi, j’me suis éclaté. Je me souviens très bien la première fois que j’ai ressenti cette joie indescriptible : sur un pont, manifestation monstre. Rouen est une ville pleine de ponts. Et nous, on voulait aller sur cette fameuse rive droite, pleine de grands magasins et de petites rues médiévales. En fait, à ce moment-là, j’avais pas vraiment d ’envie, je voulais juste continuer à être dans cette masse joyeuse. Composée de lycéens, d’étudiants bigarrés, de trotskystes à lunettes, de vieux messieurs qui appelaient à l’insurrection populaire et de syndicalistes. À la traîne, au milieu, jamais devant jusqu’à ce moment, je m’éclatais à boire et faire n’importe quoi avec mes scrabs. Puis on arrête d’avancer, on est bloqué, par les CRS, puis plein de fumée. Puis un type avec des tracts, qui m’en donne un, et qui me dit d’un air un peu paternaliste : « bon, sinon, n’allez pas là-bas, y a des casseurs, c’est dangereux, ils veulent faire dégénérer la situation ». C’était marqué JC, ou UEC... ou LCR enfin, y a pas vraiment de différence. J’ai dit « ha bon ? » et il a dit « oui, oui ! » et a continué son chemin. J’regarde mon poto, la même idée : on se dit « on y va ». Ma première rencontre avec les casseurs. J’ai pris une giclée. J’ai toussé, toussé, rien capté, un gars, un casseur a été cool, il m’a pris par le bras, m’a amené plus loin et m’a dit « franchement, reste pas trop près », et lui, il est reparti à fond après. J’avais perdu mon poto, mais je voulais absolument y retourner. Cette situation électrique, la joie de l’interdit. Car, comme tout le monde, je n’aimais pas la police, et si dans la vie quotidienne, c’était profil bas, ben là, franchement, c’était une puissance collective. Puis ils nous bloquaient ! J’avais peur. De me faire arrêter, puis, peur tout court. J’y suis retourné, et encore une fois la giclée.

    Évidemment, je n’avais aucun équipement, rien du tout. La moindre lacrymogène me faisait tout abandonner. D’ailleurs je faisais rien de spécial sinon regarder par-dessus l’épaule des gens. Finalement, je me taille, et du bus je vois la scène : les CRS qui chargent à fond sur le pont, les gens courent de partout, je trouve ça complètement dingue. Ils ont les matraques en l’air, ils sautent sur les gens, le car s’éloignant, je ne vois pas la suite. Et je me dis : « merde j’espère que mon poto va bien », moi j’me suis sauvé lâchement. J’avais peur.

    Puis, ça continue, une semaine plus tard, je vais à une manifestation sauvage. Les gens jettent des œufs sur un bus qui passe, ils sont à peine 300 mais ils s’en foutent. Je reste, je suis, seul, j’ai peur, très vite, cailloux, je prends mes genoux à mon cou et me tire. Mais j’étais encore une fois électrisé. Puis on revient dans la suivante. À plusieurs, on se dit : ok, on reste ensemble. On y arrive, mais on fait pas grand-chose. On se tape juste des méga barres. On a oublié l’école, la famille. Puis, plus le temps passe et plus les profs s’en foutent, tout le monde râle, tout le monde te dit « faut que ça pète, faut y aller, sinon ils vont rien faire ». Nous au lycée, on bloque, on se rencontre, et surtout, on décide d’ouvrir une salle pour nous, on y fait la fête. C’était tellement le bordel que la proviseure a rien mouché. Y avait des darons qui étaient avec nous. Ils étaient cool. On pouvait tout faire parce qu’effectivement tout le monde, partout en France, faisait de tout. Puis vient le grand moment. Il se retire pour réfléchir, le président. Il le retire.

    À ce moment-là, j’étais censé être content, non ? Les syndicats, les profs, les partis, tous se félicitaient. On a gagné. J’ai jamais été autant déçu. Pour moi, c’était la défaite. Je me souviens, on était dans cette salle, tôt le matin, on écoutait. Il le retire, je regarde mon poto et je dis « dommage ». Il acquiesce. Tous, syndicats, partis, profs, parents, police, tous, ils nous ont dit : « ça suffit, le jeu est fini ». Mais moi, je voulais continuer, continuer. Je voulais que tout déborde et s’écoule.

    Puis j’ai oublié les casseurs, j’ai oublié le reste. Mais j’ai gardé la déception.
    Ces casseurs, je les ais retrouvés plus tard, plus loin et encore une fois on m’a dit « eux, ils sont mauvais », et moi j’ai été les voir, et c’est grâce à eux que j’ai appris, que j’ai politisé ma vie. Et surtout, j’ai vu que tous cassaient pas forcément. Surtout, tous étaient les plus malins parmi la clique des étudiants politisés. C’était eux le mouvement. Et j’ai eu cette sensation de continuer ce qu’au lycée j’avais pas pu. Sans aucuns regrets.

    Maintenant ? Je vois ce mouvement, et je me dis : « le CPE aussi, c’était contre une réforme du travail ». Puis je vois les lycéens. Nous on chantait « retrait, retrait, retrait du CPE » comme des glands. Ou des trucs comme « Pétain reviens, t’as oublié tes chiens », pour parler de la police. Là, je vois qu’on chante contre l’état d’urgence, les violences policières, le racisme d’état, le merditude du monde. Les syndicats sont devenus, dans les manifs, un cortège entouré de fil rouge avec autour une flopée de brassards qui les soi-disant « protègent de la police ». Ils sont seuls, plus personne n’en veut. Face à ces cordons de service d’ordre, circulent entre les lignes, autour, partout des centaines et des centaines de jeunes et moins jeunes. Ils sont ainsi non pas simplement pour tout péter, mais parce qu’il n’y a plus de place pour eux. Dans les manifestations et dans le monde. Les autres, avec leurs drapeaux et leurs ballons, entourés d’un fil auquel se tient autant de service d’ordre que de manifestants, ils disent la même chose que l’on ma dite pendant le CPE : « casseurs », « minorisant », nanani nananin, sans savoir qu’eux même sont la minorité. Ils sont terriblement seul, entourés de gros bras. Et c’est parce qu’ils sont aussi seuls qu’ils se protègent autant. Et ce sont les mêmes qui sont responsables de la fin du CPE, de ma déception, de la déception de tant de gens. J’espère qu’un jour, ils réaliseront que pour eux aussi, il n’y a plus de place. Si ce n’est un avenir de parking. Coincé entre deux possibles fin du monde, notre futur est en dents de scie.

    On se le dit tous : s’il est important de défendre le code du travail et les acquis sociaux du passé, plus personne ne croit que c’est cela qui va nous sauver. Entre la loi du travail et le travail de la loi, il ne nous reste rien. Il y a quelques années, « l’insurrection qui vient » est sortie. Je me suis bien marré : les gars croient vraiment que l’insurrection vient ? Alors que la déroute était générale et l’apathie la plus morbide partout. Puis les insurrections sont venues. De toute part : Espagne, Grèce, Maghreb, Portugal, Ukraine, Moyen-Orient, États-Unis. Maintenant, il n’apparait plus fou de prédire l’insurrection, même en France. Et ceux qui la feront, ce ne seront ni le service d’ordre ni le gouvernement. Ce sera cette foule qui coule entre les deux. »

     

     

     

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