• ⊗ Le bonheur est dans le pré (Paul Fort)

    Le bonheur est dans le pré

    « Le bonheur est dans le pré » n’était pas encore, en 1917, une mièvrerie bucolique...

    Paul Fort Paul Fort écrit

    Jules Jean Paul Fort (1872-1960) - 2e photo sur Ectac

    « Le bonheur est dans le pré » est une expression qui paraît tout à fait anodine évoquant le calme, la sérénité. Quand j’étais petit, je me rappelle qu’on m’avait fait apprendre cette petite poésie toute mignonne de Paul Fort, sobrement intitulée Le Bonheur (une poésie que vous avez d’ailleurs certainement apprise également). Comble du mauvais goût, ma "maîtresse" nous imposait de la chantonner sur un air des plus débilitants… ()

     

    Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite.

    Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite. Il va filer.

    Si tu veux le rattraper, cours-y vite, cours-y vite.

     

    Si tu veux le rattraper, cours-y vite. Il va filer.

    Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite, cours-y vite,

    Dans l’ache et le serpolet, cours-y vite. Il va filer.

    Sur les cornes du bélier, cours-y vite, cours-y vite,

    Sur les cornes du bélier, cours-y vite. Il va filer.

    Sur le flot du sourcelet, cours-y vite, cours-y vite,

    Sur le flot du sourcelet, cours-y vite. Il va filer.

    De pommier en cerisier, cours-y vite, cours-y vite,

    De pommier en cerisier, cours-y vite. Il va filer.

    Saute par-dessus la haie, cours-y vite, cours-y vite.

     

    Saute par-dessus la haie, cours-y vite ! Il a filé !

     

    Paul Fort, Les Ballades françaises (Ballades du beau hasard)

     

    Plutôt mignon, non ? Eh bien détrompez-vous… derrière cette apparente légèreté se cache les horreurs de la Première Guerre Mondiale… Car ce poème, écrit en 1917 par le "Prince des Poètes", évoque en réalité les soldats de la Grande Guerre, les Poilus, qui sautent non par-dessus la haie, mais en dehors des tranchées sous le flot des balles ennemies. (ÉtaleTaCulture)

    Si Paul Fort a célébré la nature et les plaisirs simples de la vie sous forme de ballades populaires et fantaisistes (« Si tous les gars du monde voulaient se donner la main… »), en revanche, en 1917, pendant la Première Guerre mondiale, il publie plusieurs recueils aux accents noirs.

    Dans L’Alouette, le poème intitulé « Le bonheur » commence par ces vers :

    « Le bonheur est dans le pré. Cours-y vite, cours-y vite (…). Si tu veux le rattraper, cours-y vite, il va filer. » Mais il se termine tristement : « Saute par-dessus la haie, cours-y vite ! Il a filé ! » (C'est Savoir.fr)

    En fait, le bonheur a filé sur le pré pour toute une génération. Cette image ironique évoque les poilus sautant par-dessus la tranchée, sous la rafale ennemie.

    « Nos beaux jours fauchés, d’une éternité de tranchées, dans les enfers », écrit encore Paul Fort dans Notre-Dame-de-Sous-Terre, publié la même année.

    Et dans « Le départ du conscrit » : « La rouge aurore en ta chambrette – jeune soldat, courage – a mis du sang dans ta cuvette ; on entend chanter l’alouette sur les bleus paysages. » (C'est Savoir.fr)

    [https://www.youtube.com/watch?v=-WcupyYF74U]

    Avec le recul, maintenant que je connais le vrai sens de ces quelques vers, j’ai cette impression bizarre d’avoir été trahi par l’Éducation Nationale qui m’a fait prendre un texte puissant et engagé pour une petite comptine anodine. Paul Fort doit se retourner dans sa tombe.

    Alors, maîtres et maîtresses d’école, si vous me lisez, je vous en conjure, arrêtez ce massacre et redonnez de la noblesse à ce texte magnifique en le replaçant dans son contexte ! (ÉtaleTaCulture)

    BONUS : Une perle rare ! Pour écouter ce poème lu par le Prince des poètes

    [http://www.etaletaculture.fr/wp-content/uploads/2012/08/Paul-Fort-Le-bonheur.mp3]

     

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    Sources

    Voir

    Voir aussi

     

     

     

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