• ☼ Nicolas Peyrac

    Nicolas Peyrac et mon père (Causeur 16/07/2023)

    Nicolas Peyrac en 1977 © VILLARD-SIPA

    Le chanteur Nicolas Peyrac en 1977 © VILLARD/SIPA

    Cette chronique, je la dédie à mon père, qui nous a quittés par une maudite nuit caniculaire de l’été 2020. La peine s’estompe, et les souvenirs reviennent. Il était ce qui convient d’appeler un intellectuel, en effet, il enseignait la littérature à l’Université. Cependant, comme moi, il adorait la culture populaire, les chansons de variétés, les films de de Funès que nous regardions ensemble… Je me souviens encore de son rire devant les mimiques du grand Louis [...]

    Au mitan des années 1970, Nicolas Peyrac fit son apparition dans le paysage des chansons dites de variété, alors que selon moi, il est un véritable chanteur folk. Une rareté en France.

    Mon père et moi étions tombés amoureux de So far away for L.A, le pendant américain de Et Mon père, qui est une fort belle chanson aussi. Cependant, So far away est plus intrigante, plus riche, plus mélancolique… Peyrac, qui est aujourd’hui un homme accessible, avec qui je communique parfois sur Facebook, est un fou de cinéma, surtout américain. Et So far away est une juxtaposition d’images cinématographiques.

    "Quelques lueurs d’aéroport, d’étranges filles aux cheveux d’or, dans ma mémoire traînent encore "

    et là, nous visualisons immédiatement des clones de Sharon Tate (pauvre madame Polanski), déambulant en mini jupes, les jambes interminables, et entourées de vapeurs de cannabis… Nous y sommes. Bien sûr, il m’a fallu quelques années pour comprendre qu’avec ces quelques mots, l’artiste avait capté l’essence du Summer of Love. Mais pas seulement. De manière impressionniste, c’est toute l’Amérique du XXe siècle qu’il nous raconte. Mon passage préféré était celui-ci :

    "Et les collines se souviennent des fastes de la dynastie, qui de Garbo jusqu’à Bogie faisaient résonner ses folies."

    Je n’avais bien sûr pas encore les références pour le comprendre, mais je ressentais instinctivement le glamour désabusé, fitzgeraldien, qui émanait de ce passage. Aujourd’hui, lorsque j’écoute la chanson, je visualise Jean Harlow, langoureusement étendue sur un lit en forme de coquillage, ses lèvres rouges en forme de cœur, son halo de cheveux platine, son regard empreint de tragique.

    Cependant, de façon subtile – et toute cette chanson est un chef-d’œuvre de subtilité –  Peyrac mêle le cauchemar et le rêve américain (lesquels sont d’ailleurs consubstantiels). Caryl Chessman : "avait-il raison ou bien tort ?". Sharon Tate éventrée, "d’un seul coup on t’as pris deux vies", et les sanglots couleur de prison d’Alcatraz… alors que le Golden Gate s’endort. Toute une mythologie, à la fois sublime et tragique. Et il y a cette mélancolie, omniprésente chez Peyrac, qui s’est toujours demandé ce qu’il faisait sur les plateaux télé, qui n’y a jamais vraiment trouvé sa place, qui rêvait sans doute d’être Bob Dylan.

    "So far away from L.A, so far ago from Frisco, I’m no one but a shadow."

    Oui, cette chanson a définitivement des accents dylaniens, il se permet, comme Zimmerman, de tordre la langue anglaise.

    [https://www.youtube.com/watch?v=bT-RZvyBRSE] 17 janvier 2017

    Les chansons de Peyrac plus méconnues flirtent souvent avec la poésie, peut-être sans le vouloir, et cela est encore plus beau. La poésie est plus belle quand elle surgit lorsqu’on ne s’y attend pas. Sa chanson Mais Comment t’appelles-tu ? est une sorte d’ovni, qu’il a composée en une nuit sur un piano qui avait servi aux Rolling Stones. Une évocation amoureuse aux accents proustiens :

    "Et son parfum monte en moi, comme un vieux souvenir, qui s’accroche à ma mémoire et m’empêche de vieillir."

    Maintenant que les années me rapprochent de plus en plus de la vieillesse, cela me ferait pleurer…

    Enfin, ce cinéphile sensible a écrit la plus belle chanson qui soit sur Marilyn, délicate, intime ; on sent qu’il touche du doigt son malheur, sans en faire des tonnes :

    "On disait tout de toi, on en avait tant dit, qu’ils ne surent pas pourquoi tu t’étais endormie, au soleil."

    Voilà, en creux, mon hommage à mon père à travers Nicolas Peyrac, et, lorsque nous l’écoutions ensemble, nul doute "qu’il ignorait qu’un jour j’en parlerai."

    Nicolas Peyrac "Et mon père"

    Archive INA

    Midi première : émission du 07 novembre 1975 Nicolas Peyrac chante "Et mon père"

    [https://www.youtube.com/watch?v=6-mTHapnbUw] 17 janvier 2017

    Quand vous dansiez en ce temps-là
    Pas besoin de pédale wah-wah
    C'était pas la bossa nova
    Mais ça remuait bien déjà
     
    Les caves étaient profondes
    Et la ronde Ne s'arrêtait pas
    Un vieux piano bastringue
    Et les dingues Tournoyaient déjà
     
    Et Juliette avait encore son nez
    Aragon n'était pas un minet
    Sartre était déjà bien engagé
    Au Café de Flore, y avait déjà des folles
     
    Et mon père venait de débarquer
    Il hantait déjà les boutiquiers
    Dans sa chambre, on troquait du café
    Il ignorait qu'un jour, j'en parlerais
     
    Quand vous flirtiez en ce temps-là
    Vous vous touchiez du bout des doigts
    La pilule n'existait pas
    Fallait pas jouer à ces jeux-là
     
    Vous vous disiez je t'aime
    Parfois même vous faisiez l'amour
    Aujourd'hui, deux salades, trois tirades
    Et c'est l'affaire qui court
     
    L'oncle Adolf s'était déjà flingué
    Son Eva l'avait accompagné
    Des fois qu'il aurait voulu draguer
    Qui sait si, là-haut, il n'y a pas des folles
     
    Et mon père allait bientôt planter
    Cette graine qui allait lui donner
    Ce débile qui essaie de chanter
    Il ignorait que viendraient mes cadets
     
    Quand vous chantiez en ce temps-là
    L'argent ne faisait pas la loi
    Les hit parades n'existaient pas
    Du moins, ils n'étaient pas de bois
     
    Tu mettais des semaines et des semaines
    Parfois des années
    Si t'avais pas de tripes, ta boutique
    Tu pouvais la fermer
     
    Et Trenet avait mis des années
    Brassens commençait à en baver
    Et Bécaud astiquait son clavier
    Monsieur Brel ne parlait pas encore des folles
     
    Et mon père venait de débarquer
    Là où restait quelque humanité
    Là où les gens savent encore parler
    De l'avenir même s'ils sont fatigués
     
    Et Juliette avait encore son nez
    Aragon n'était pas un minet
    Sartre était déjà bien engagé
    Au Café de Flore, y avait déjà des folles
     
    Et mon père venait de débarquer
    Là où restait quelque humanité
    Là où les gens savent encore parler
    De l'avenir même s'ils sont fatigués
     
    Source : Musixmatch
    Paroles : Nicolas Peyrac