Auteur reconnue d’ouvrages de spiritualité, Annick de Souzenelle, née le 04 novembre 1922 en Bretagne, s’est éteinte dimanche 11 août 2024 à l’âge de 101 ans. Elle laisse un héritage foisonnant, inspiré par l’orthodoxie et la méditation des Écritures à partir de la symbolique des lettres hébraïques.
La Croix 11/08/2024
« Je (dis), avec l’autorité de la Bible, que nous ne mourons pas mais que nous mutons. Il ne s’agit que de la disparition de notre tunique de peau pour en libérer le “souffle”, soit l’Esprit qui, lui, demeure et fait muter l’Être », écrivait Annick de Souzenelle dans sa Méditation sur la mort, publiée en 2023. Ce dimanche 11 août, c’est à l’âge de 101 ans qu’elle est entrée dans ce qu’elle appelait le « grand concert de la déification humaine ».
Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, à la lecture exigeante, Annick de Souzenelle occupait une place inclassable parmi les auteurs de livres de spiritualité. Dans une époque caractérisée par un fort « consumérisme spirituel », son héritage demeurera, souligne Jean Mouttapa, son éditeur chez Albin Michel. Pour être reçue, sa pensée doit être travaillée à tête reposée : « La lecture de ses ouvrages marque souvent l’itinéraire spirituel de ses lecteurs, ils en sortent souvent transformés… »
« Elle est l’une des personnes qui a vraiment ouvert la voie du symbolisme dans le monde chrétien : sur l’interprétation symbolique de la Bible, il y avait une banquise et elle a été un brise-glace, salue Judith Cyprel, une de ses anciennes élèves qui anime aujourd’hui des ateliers d’initiation au symbolisme des lettres hébraïques. Elle a ouvert portes et fenêtres en nous décalant de la morale, donnant une bouffée d’oxygène extraordinaire. Et pour ceux qui ont pu la rencontrer, c’était aussi une qualité de présence extraordinaire, une jeunesse d’esprit folle et une force intuitive extraordinaire ».
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Les questions existentielles taraudent très tôt cette Bretonne née le 4 novembre 1922. Sa famille a été très marquée par la guerre de 1914-1918. Son père en revient gravement blessé et les ressources de la famille s’effondrent. Elle a l’impression d’arriver dans un « monde absurde » où tout le monde pleure ses morts…
À 5 ans, elle est envoyée en pension, une expérience traumatisante mais fondatrice. Des cauchemars récurrents la confrontent à des « monstres » venus des Enfers, selon son récit. Terrorisée, elle se tourne vers la prière. Elle vit alors une expérience « lumineuse » qui la met en présence de la « Divine Trinité », et trouve là un fil d’or qu’elle suivra toute sa vie.
« J’étais anesthésiste, désormais je tente de les réveiller »
Après des études de mathématiques, Annick de Souzenelle devient infirmière anesthésiste dans les années 1950. C’est au contact des malades qu’elle se lance dans l’exploration des mystères de la psyché humaine, à l’école de la « psychologie des profondeurs », développée par le psychiatre suisse Carl Gustav Jung (1875-1961). « J’étais anesthésiste. J’ai commencé par endormir les gens, aimait-elle à rappeler. Désormais je tente de les réveiller, du moins d’éveiller la croyance qui est en eux. »
Habitée par les grandes questions existentielles, elle rencontre en 1958 celui qui deviendra son maître spirituel : le père Eugraph Kovalevsky (1905-1970). Ce prêtre orthodoxe russe naturalisé français l’initie aux trésors de la théologie et de la foi orthodoxe à laquelle elle restera fidèle toute sa vie. Pendant une trentaine d’années, elle partagera ses lectures de la Bible au centre spirituel orthodoxe Sainte-Croix, situé en Dordogne.
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L’étude de l’hébreu biblique avec un adepte de la kabbale, la mystique juive, illumine sa compréhension du monde. Elle découvre la « puissance signifiante » des lettres hébraïques, qui vont lui servir à donner sens à l’existence. C’est en s’appuyant sur l’analyse de l’alphabet hébreu qu’elle explique, par exemple, Le Symbolisme du corps humain, son ouvrage le plus fameux qui a été diffusé à 250 000 exemplaires et qui n’a cessé d’être réédité depuis 1974. Notre corps ne se limite pas à la peau, explique-t-elle, il possède « une sensibilité exquise à quelque chose de divin ». En travaillant sur le texte hébreu de la Genèse, elle découvre, « émerveillée », un récit différent de ce qu’elle avait entendu jusque-là : l’homme doit s’affranchir de sa part animale pour renouer avec sa part divine.
« S’engager dans un processus de travail intérieur »
Pour Annick de Souzenelle, « notre condition sur Terre consiste à prendre conscience de notre état d’exil et à en sortir, confiait-elle en 2006 à La Croix. (…) La ressemblance de l’homme à Dieu n’est pas d’emblée acquise, mais s’acquiert tout au long de la vie, au cours d’étapes successives qui donnent sens à la vie humaine. Cette dynamique est une œuvre divino-humaine. Car si Dieu, en créant l’homme, le place en face-à-face de lui, c’est pour que l’homme revienne à lui ».
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Tout le travail, ici-bas, consiste donc à « s’engager dans un processus de travail intérieur et d’intégration d’un potentiel d’énergies immenses, poursuit-elle. Si nous acceptons cet appel divin, nous vivons ce que l’hébreu nomme une “techouva”, un retournement. » Se retourner vers son intériorité, « c’est voir ce qui n’est pas gratifiant, se prendre en main. À partir de là, tout prend sens, même les épreuves. L’accouchement du divin en nous se fait dans la souffrance, du fait de nos attachements excessifs aux fausses valeurs du monde ».
Adressant ses vœux pour l’année 2024, Annick de Souzenelle souhaitait « une année riche en compréhension du monde nouveau qui est en train de naître et que nous avons à faire naître en étant dans la confiance totale dans le monde divin ».
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