Au nombre de six, les saints patrons de l’Europe ont été choisis successivement par Paul VI et Jean-Paul II, en 1964, 1980 et 1999, dans le contexte de la construction européenne.
Saint Benoît de Nursie, fondateur du monachisme, a été le premier proclamé patron de l’Europe par Paul VI en 1964, « pour avoir apporté à notre continent le progrès humain et chrétien par la croix, le livre et la charrue ». L’Union européenne, quelques années après la naissance du Parlement européen en 1958, est alors en pleine construction.
« L’Église est en plein concile Vatican II à ce moment-là, rappelle le père Bernard Ardura, ancien président du Comité pontifical des sciences historiques. Paul VI s’est rendu au mont Cassin en pèlerinage, le 24 octobre, pour bénir le monastère, qui, détruit dans les bombardements à la fin de la guerre, vient d’être reconstruit. »
En effet, le lieu où saint Benoît a fondé son abbaye en 530, et où il a écrit sa Règle, a été le théâtre d’intenses bombardements et combats meurtriers entre les forces alliées et les troupes allemandes, de janvier à mai 1944. C’est ici que, à la fin de son homélie, Paul VI le déclare patron et protecteur de l’Europe, attribuant la possibilité de construire l’unité du continent européen et la paix à la culture antique fécondée par le message chrétien.
Les cinq autres co-patrons de l’Europe furent ensuite choisis par Jean-Paul II.
Pourquoi les saints Cyrille et Méthode figurent-ils dans cette liste ?
Méthode, et son petit frère Constantin, qui reçut sur son lit de mort le nom de Cyrille, tous deux enfants de Byzance, ont évangélisé la Moravie au IXe siècle, recevant le surnom d’« apôtres des Slaves ». Ils sont fêtés tant par les orthodoxes que par les catholiques.
En 1980, Jean-Paul II saisit l’occasion d’un double anniversaire pour proclamer les deux frères co-patrons de l’Europe, dans l’encyclique Egregiae virtutis. Le centenaire, d’abord, d’une encyclique de Léon XIII, « qui avait déjà un caractère œcuménique avant l’heure », rappelle le père Ardura. « Léon XIII avait introduit dans le calendrier occidental la fête de ces saints déjà vénérés en Orient. » Le onzième centenaire, ensuite, d’une lettre envoyée par le pape Jean VIII à Svatopluk, roi de Bulgarie. Dans cette lettre, qui est « le document original le plus ancien des archives du Vatican », précise le père Ardura, Jean VIII recommandait l’usage de la langue slave dans la liturgie afin que « dans cette langue soient proclamées les louanges et les œuvres du Christ notre Seigneur ».
C’est donc un pape slave lui-même, Jean-Paul II, « très sensible à l’importance de la culture et de son rapport constitutif avec la nation», souligne Bernard Ardura, qui a rendu hommage à l’activité des deux saints, inventeurs de l’écriture cyrillique et traducteurs de la Bible en slavon, acteurs de l’inculturation de l’Évangile dans le monde slave. « La grande idée de Jean-Paul II était que l’Europe devait respirer avec ses “deux poumons”, et qu’il fallait faire entrer tous les peuples du continent européen dans une unité culturelle », ajoute le prêtre.
Pourquoi Jean-Paul II a-t-il attribué ensuite trois co-patronnes à l’Europe ?
En 1999, à la veille du grand Jubilé de l’an 2000, sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, aussi connue sous son nom civil d’Édith Stein, sont déclarées par Jean-Paul II patronnes de l’Europe le 1er octobre 1999 par un motu proprio publié avant la deuxième assemblée du Synode des évêques pour l’Europe. « Nous sommes alors une dizaine d’années après la chute des régimes communistes», rappelle Bernard Ardura.
Le Jubilé qui approche est vécu par Jean-Paul II comme le sommet de son pontificat. « Son idée est que l’Europe ne peut se construire que si elle se donne de nouvelles bases qui aident le Vieux Continent à puiser dans les richesses de son histoire », souligne le père Ardura. Comme Paul VI choisissant la figure de saint Benoît, Jean-Paul II insiste sur le fait que la foi chrétienne a façonné la culture du continent européen, et a été mêlée de manière inextricable à son histoire. En insistant sur le fait que les chrétiens doivent prendre conscience de l’importance de leur foi pour la construction de la société civile, il reprend les convictions de ceux des pères fondateurs de l’Europe qui se sont appuyés sur la foi chrétienne, tels Robert Schuman, Konrad Adenauer, ou encore Alcide De Gasperi.
Pour ancrer cette idée de l’Europe, Jean-Paul II fait appel à trois saintes qui ont vécu à des époques différentes, dans des lieux différents.
Brigitte de Suède (1303-1373), mère de famille avant de fonder l’Ordre du Très Saint Sauveur et de terminer sa vie à Rome, « renvoie à l’extrême nord de l’Europe, où le continent se regroupe dans une quasi-unité avec le reste du monde», écrit Jean-Paul II dans son motu proprio.
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Catherine de Sienne (1347-1380), tertiaire dominicaine qui joua un rôle essentiel en ramenant le pape d’Avignon à Rome, faisant preuve d’une force d’âme et de caractère peu commune, est mise en valeur pour son engagement inlassable dans la résolution des conflits qui déchiraient tant l’Église que la société civile.
Édith Stein (1891-1942) enfin, « par toute sa vie d’intellectuelle, de mystique, de martyre, jeta comme un pont entre ses racines juives et l’adhésion au Christ, s’adonnant avec une intuition sûre au dialogue avec la pensée philosophique contemporaine et, en fin de compte, faisant résonner par son martyre les raisons de Dieu et de l’homme face à la honte épouvantable de la Shoah, déclara Jean-Paul II. Elle est devenue ainsi l’expression d’un pèlerinage humain, culturel et religieux qui incarne le noyau insondable de la tragédie et des espoirs du continent européen. »
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L’extrait. « Pour édifier la nouvelle Europe sur des bases solides… »
Extrait du motu proprio pour la proclamation de sainte Brigitte de Suède, sainte Catherine de Sienne et sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix co-patronnes de l’Europe, le 1er octobre 1999, par Jean-Paul II.
« Pour édifier la nouvelle Europe sur des bases solides, il ne suffit certes pas de lancer un appel aux seuls intérêts économiques qui, s’ils rassemblent parfois, d’autres fois divisent, mais il est nécessaire de s’appuyer plutôt sur les valeurs authentiques, qui ont leur fondement dans la loi morale universelle, inscrite dans le cœur de tout homme. Une Europe qui remplacerait les valeurs de tolérance et de respect universel par l’indifférentisme éthique et le scepticisme en matière de valeurs inaliénables, s’ouvrirait aux aventures les plus risquées et verrait tôt ou tard réapparaître sous de nouvelles formes les spectres les plus effroyables de son histoire. »
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Ce qu’il faut retenir. Un contexte de construction européenne
Les saints patrons de l’Europe, au nombre de six, ont été choisis par Paul VI et Jean-Paul II dans un contexte de construction européenne.
Saint Benoît de Nursie, fondateur du monachisme, a été le premier, proclamé par Paul VI en 1964, année de la reconstruction du monastère du mont Cassin qui avait été détruit par les combats à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
En 1980, Jean-Paul II, portant l’idée que l’Europe devait respirer avec « ses deux poumons », occidental et oriental, ajouta les saints Cyrille et Méthode, apôtres des Slaves.
En 1999, à la veille du Jubilé de l’an 2000, il proclame trois nouvelles co-patronnes pour le continent européen avec les saintes Brigitte de Suède, Catherine de Sienne et Thérèse-Bénédicte de la Croix (Édith Stein).