Causeur 26/01/2022 [PDF] - Julien San Frax
"Non seulement ce sabir indigeste, mais surtout le rythme de la langue qui change et qui se répand un peu partout, notamment chez les jeunes comédiens. Un français heurté, guttural qui n’a plus rien à voir avec la langue d’il y a quelques décennies"
Un internaute
Des "apaches" * à Paris, vers 1900. Le voyou français de l'époque, le bourgeois le trouve maintenant acceptable. À l'époque il parlait de "classe dangereuse". Casquette quasi-obligatoire, d'où l'appellation de "salopards en casquette" par la presse bien-pensante (ou les patrons ?) pour qualifier ces "classes dangereuses". (internautes)
Extraits de l'article
Paris a toujours connu plusieurs langues, différents argots selon les quartiers et selon les époques, de Villon à Céline en passant par Rictus et Fréhel. Aujourd’hui, le rap, et son mixte de dialectes maghrébins colonisent le langage de la rue.
Jadis il advenait que l’on parlât titi. C’était le temps où la chanteuse Fréhel grasseyait son regret des "poulbots de la Butte".
Les "apaches" * des Boulevards avaient leur idiome. Les "zoniers" des "fortifs" également (qui bivouaquaient sur les emprises de la fameuse enceinte de Thiers, là même où se coule le "périph").
Il y avait l’argot des forçats, mais aussi celui des bouchers, des marins, des lavandières, des croupiers, des chasseurs de restaurants, des mitrons, des vidangeurs, des ouvreuses, des lorettes : un argot des métiers.
Puis un argot par quartier : Ménilmuche et Vaugirard, Belleville et La Chapelle – pas du pareil au même. Sans compter l’argot de la pègre.
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* "Apache" est un nom générique donné à différents peuples amérindiens parlant les langues apaches, et duquel sont dérivées la plupart des appellations homonymes, dont celles ci-dessous (Voir Wikipédia)
Les Apaches étaient un groupe de bandits, malfaiteurs, de la Belle Époque qui, par le vol, l'agression ou l'assassinat, sévissaient à Paris mais aussi dans les grandes villes ; plus généralement, ce sont des individus peu recommandables.
À noter, la "Société des Apaches" était un groupe français d'artistes, incluant notamment Maurice Ravel et Igor Stravinsky, qui se réunit de 1900 à 1914.
Réactions d'internautes
Sur l'article
"le rap et son mixte de dialectes" : confusion entre mixité et mélange ? Il me semblait que "carotte" et "baveux" venaient de l'argot de Pantruche. Se faire carotter, c'est se faire rogner la carotte (de tabac), dont l'emblème illustre encore les commerces de ce type. Le baveux, c'est celui qui parle beaucoup sans avoir la bouche sèche, impossible de ne pas penser aux plaidoiries sans fin... – Remarques pertinentes, l'article abonde en approximations, pour ne pas dire davantage.
Petit rappel culturo-historique
D'abord, on ne dit pas "sabir des banlieues", on dit "français contemporain des cités" (FCC). Toujours cette volonté de stigmatiser... Cela fait longtemps qu'il y a de l'arabe dans l'argomuche, et le verlan existe depuis le XIVe siècle tout comme le javanais. Si je ne nie pas les ravages de l'islamisme et les quartiers tenus en coupe réglée par les caïds avec la complicité des autorités, j'aime bien cette capacité à la répartie qu'avait les gamins des cités et leur sens de la formule. Que ça déplaise c'est justement fait pour...
Échanges râpeux sur le rap
Même s'il est à mille lieues de mes goûts, je trouve que le rap prend parfois des accents de vraie poésie. Le pire, ce n'est pas l'existence d'un parler qui sonne bizarrement aux oreilles plus matures, c'est qu'une partie de cette population de "djeunns" semble incapable d'exprimer une pensée un tout petit peu nuancée et construite.
– L'accent, l'intonation spécifique aux banlieues est épouvantable, je ne comprend pas comment il s'est constitué, l'accent "arabe" et "africain" avec toutes leurs diversités n'ont rien à voir, quant au rap le phrasé, le flow comme ils disent est aussi épouvantable on a l'impression que les mots sont crachés.
– Pour ma part, je n'ai jamais pu franchir l'obstacle de la "musique" à endurer afin de prêter l'oreille à la "poésie" des paroles.
– Allez consulter les paroles, ça vaut le détour !! Entre les appels au viol jusqu'aux grands-mères, l'antisémitisme, l'appel au meurtre des kouffars, des menaces d'égorgement !! De la poésie vous dis-je !! Ils tombent sur le râble des filles qui font des chansons "d'extrême-droite" et laissent tous ces appels au meurtre en libre-service !!
Une belle bibliothèque
Je possède l'excellent Dictionnaire de l'argot français et de ses origines de MM. Jean-Paul Colin, Jean-Pierre Mével et Christian Leclère (Larousse), dictionnaire obsolète mais une nouvelle édition mise à jour devrait sortir. Très utile pour découvrir un parler extrêmement imagé et imaginatif, à cent lieues des "*culé", "bâtard" et du verlan grotesque des rappeurs. Même pour des vieux mots, ce qui m'a été utile notamment lors de la lecture des Mystères de Paris d'Eugène Sue.
Il y a aussi La Méthode à Mimile de Boudard, Dictionnaire historique de l'argot de Loredan Larcher, La Vie étrange de l'argot d’Émile Chautard. Le tout, bien utile et succulent.
Très bien aussi, L'Argot chez les vrais de vrais, d'Auguste Le Breton (Presses de la Cité, 1975). Exemple, à l'entrée Popaul : "Mézigue mal monté ? Quand Popaul est en colère, j'y attache une balançoire pour y installer le morveux de ma concierge !"
Audiard
Audiard se défendait d'écrire en argot. Dans une interviouve, il cite la fameuse remarque tirée du Pacha : "Quand on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini de tourner" et il précise "y a pas un mot d'argot" !
C'est effectivement le génie de la langue d'Audiard, qui a fait que sa langue est passée chez les voyous, et pas l'inverse. En fait ses dialogues étaient très littéraires. Mousse et pampre par exemple viennent de Céline. C'est par la bouche de Blier dans la fameuse scène de la cuisine dans Les Tontons Flingueurs !
Audiard reprenait les mots de ses acteurs. Gabin parlait comme ses personnages. Tout comme Blier ou Ventura ("Ne nous fâchons pas" est venu à Audiard après avoir vu Ventura corriger un malfaisant qui l'avait poussé à bout).
Titi parisien, ce véritable accent parisien qui n'a rien à voir avec le faubourien, Annie Girardot l'avait aussi en bouche.
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Voir
Français - pas vouloir "speaker" globish