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À l'occasion des Jeux de Paris, qui commencent le 26 juillet 2024, Le Pèlerin vous raconte les histoires olympiques oubliées.

1948 Jeux Olympiques de Londres

Lunettes de soleil sur le nez, lèvres pincées par la concentration, boulet fermement tenu du bout des doigts au creux du cou : la Française Micheline Ostermeyer, 26 ans, s'élance. Dans les gradins du stade de Wembley, où se tiennent les Jeux olympiques de Londres de 1948, les dizaines de milliers de spectateurs retiennent leur souffle...

1948 JO Londres Micheline Ostermeyer France Lancer de poids.jpg

Athlète accomplie Micheline Ostermeyer a marqué l'été 1948 (stade de Wembley, Londres) de ses talents.

13,75 m, c'est gagné ! L'athlète française, petite nièce de Victor Hugo, remporte sa deuxième médaille d'or dans la compétition, quatre jours après celle décrochée au lancer de disque. De quoi rentrer dans l'Histoire : pour la première fois une femme française remporte l'or en athlétisme. Les caméras de télévision, qui diffusent pour la première fois les Jeux, immortalisent l'exploit. Douze ans après ceux de Berlin, trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les JO retrouvent leurs droits. À Londres, les dégâts des bombardements allemands restent visibles, les athlètes sont logés dans des écoles et baraquements militaires.

Sans avoir eu le temps de savourer, Micheline Ostermeyer s'extirpe de la foule sous les hourras du public. Non qu'elle ne veuille pas communier, mais on l'attend le soir même à l'autre bout de la ville, au Royal Albert Hall. Elle doit jouer un récital de Beethoven dans le prestigieux théâtre londonien. Car la robuste championne française de 1,76 m est également pianiste virtuose.

"Micheline est la réalité concrète du message philosophique qu'on veut transmettre à travers une pensée humaniste. Elle est l'expression de deux éléments de la culture", analyse quelques années plus tard Nelson Paillou, alors président du Comité national olympique et sportif français. Cette femme atypique, qui a su cultiver sa singularité, établit un pont entre deux disciplines que tout oppose. Elle prouve qu'il est non seulement possible d'exceller au piano, activité intellectuelle et bourgeoise, et en athlétisme, sport plus populaire et physique. Sa double pratique réaffirme le mantra de Pierre de Coubertin, fondateur des JO modernes : "Un esprit sain dans un corps sain."

Le Pèlerin [archive]

 

1980 Jeux Olympiques de Moscou

Wladyslaw Kozakiewicz, un perchiste polonais médaillé d'or a ponctué sa victoire par un geste provocateur envers le public moscovite.

1980 JO Moscou Wladyslaw Kozakiewicz Pologne Saut à la perche.jpg

Pour justifier le geste de Wladyslaw Kozakiewicz, le gouvernement polonais, engagé malgré lui dans une crise diplomatique, évoquera un "spasme musculaire" !

Le stade Lénine bouillonne ce 30 juillet 1980 : 80 000 spectateurs assistent au concours du saut à la perche. Cette XXVIIe olympiade se place sous le signe du boycott : une cinquantaine de pays du bloc occidental a choisi de ne pas présenter d'athlètes à Moscou pour condamner l'invasion de l'Afghanistan, lancée l'année précédente par l'URSS.

La Pologne, pays "frère" de l'Union soviétique, a envoyé ses sportifs. Le perchiste polonais Wladyslaw Kozakiewicz figure parmi les favoris. Mais le public moscovite le siffle, il est agacé. Dans le stade, les spectateurs n'en ont que pour le Russe Konstantin Volkov. Après avoir franchi une barre à 5,65 mètres, ce dernier a la médaille d'or à portée de main. Sans se laisser déstabiliser par le brouhaha ambiant, Wladyslaw Kozakiewicz s'élance à son tour - avec une perche de fabrication américaine. Sous les huées, il passe avec brio 5,78 mètres et décroche la médaille d'or. Une fois retombé triomphalement sur le matelas, le grand blond se venge : il adresse un bras d'honneur en direction du public moscovite. En pleine guerre froide et alors que la Pologne est en effervescence (le mouvement syndical Solidarnosc naîtra sur les chantiers navals de Gdansk un mois plus tard), le coup d'éclat devient un symbole de la lutte anticommuniste et de la résistance polonaise.

Le principal intéressé se défend de tout geste politique. Il s'agissait simplement d'une moquerie déclenchée par l'hostilité du public. "Durant toute la compétition, les supporters russes dans le stade nous sifflaient et se moquaient, a confié Wladyslaw Kozakiewicz à une radio américaine en 2018. Ils ont hué tous les athlètes non soviétiques et ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour nous mettre hors de nous." Le bras d'honneur devient vite une affaire d'État. L'ambassadeur d'URSS en Pologne demande le retrait de la médaille d'or pour "insulte au peuple soviétique", sans succès. Afin de calmer les tensions, le gouvernement polonais agite une autre raison : Kozakiewicz a été victime d'un "spasme musculaire". Le Comité international olympique rajoute une couche de mauvaise foi en évoquant un geste rituel de victoire. Publiquement, l'affaire s'arrête là.

Mais pour le perchiste, les ennuis commencent. La suite de sa carrière se voit contrecarrée par le pouvoir communiste. Retrait du passeport, diminution de salaire, disqualification de certaines épreuves… "La fédération voulait que je m'entraîne et que je me maintienne en forme, mais en même temps, je n'avais pas le droit de concourir et je ne gagnais pas d'argent" racontera plus tard le Polonais, toujours à la radio américaine. Sa carrière prend un ultime tournant quelques années plus tard. En 1985, le champion fait ses adieux à la Pologne et rejoint l'Allemagne de l'Ouest. Loin de la pression communiste, l'athlète deviendra champion de la RFA. Il vivra sans regret pour le passé, heureux de l'euphorie que son bras d'honneur aura procuré à ses compatriotes.

Le Pèlerin [archive]

 

1992 Jeux Olympiques de Barcelone

Hassiba Boulmerka a offert à l'Algérie sa première médaille d'or. Musulmane courant sans voile, elle est menacée de mort dans son pays en pleine guerre civile.

 Encore 500 mètres pour réaliser un rêve. Le 8 août 1992, sur la piste d'athlétisme du stade olympique de Montjuïc, à Barcelone, quelques foulées séparent encore Hassiba Boulmerka de l'or olympique sur le 1 500 mètres. L'Algérienne de 24 ans, championne du monde en titre malgré son apparence chétive, se niche dans le peloton tandis que la Russe Lyudmila Rogachova prend de l'avance. C'est un leurre... 

1992 JO Barcelone Hassiba Boulmerka Algérie Athlétisme.jpg

Photo "Barcelone 1992. Hassiba Boulmerka, médaille d'or contre l'islamisme"

"J'avais décidé que ce serait ma course, que je serais la reine. Techniquement, je savais exactement quoi faire", dira-t-elle plus tard.

À 300 mètres de l'arrivée, elle attaque, scrutée par les 90 000 spectateurs présents, dépasse Rogachova et gagne l'or. Tandis que ses adversaires s'effondrent sur la ligne, elle se lance dans un tour d'honneur, drapeau algérien sur les épaules, attisant la fierté d'un pays qui remporte la première médaille d'or olympique de son Histoire. À Alger, Oran, Constantine, on assiste à des scènes de liesse populaire. "J'ai d'abord pensé à l'Algérie, à tous ces moments de souffrance […] et puis que tous ces sacrifices en valaient la peine", dira-t-elle au journal Le Monde en 2021.

Ils ne sont rien au regard de ceux qui l'attendent. Voir une femme faire le bonheur de l'Algérie provoque des crispations. Le pays est entré depuis plusieurs mois dans la Décennie noire. À la suite du raz-de- marée du Front islamique du salut (FIS) - partisan d'une république islamique - au premier tour des législatives de décembre 1991, le gouvernement algérien, sous la pression de l'armée, interrompt le processus électoral. Une guerre civile oppose forces gouvernementales et mouvements islamistes pendant dix ans. Déjà menacée par ces derniers depuis son sacre mondial, Hassiba Boulmerka, musulmane pratiquante, libre et sans voile, devient un symbole à museler. Déjà, en 1991, elle avait provoqué l'ire des fondamentalistes en déclarant qu'"on ne peut entrer dans une mosquée avec un short, comme on ne peut entrer sur une piste d'athlétisme avec un hijab".

La nouvelle championne olympique sort donc du stade barcelonais sous escorte et dans une voiture blindée. Dans la foulée de son titre, l'imam de la mosquée Ben Badis de Kouba – berceau du FIS – la menace pour avoir couru "à moitié nue devant le monde entier". "À 24 ans, on n'est pas préparée à cela", rembobine-t-elle dans Le Monde. Dès lors, son quotidien se vit sous protection rapprochée et ses gardes du corps l'accompagnent jusque sur les stades. Fonctionnaire dans la vie civile, elle se voit licenciée et sa famille menacée. Face au danger et aux difficultés, elle s'exile, entre l'Allemagne et Cuba, sous protection jusqu'en 2007. Entre-temps, sa compatriote Nouria Benida-Merah lui aura succédé sur la plus haute marche olympique en 2000, à Sydney (Australie), aussi sur le 1 500 mètres. Une autre forme de victoire pour elle.

Le Pèlerin [archive]

 

2004 Jeux Olympiques d'Athènes

La mésaventure du marathonien brésilien Vanderlei de Lima, bousculé et déséquilibré par un un hurluberlu en kilt rouge.

2004 JO Athènes Vanderlei de Lima Brésil Marathon, importuné à moins de 7 km de l'arrivée.jpg

Le spectateur Cornelius "Neil" Horan brise le rêve olympique du marathonien Vanderlei de Lima en l'agressant à moins de 7 kilomètres de l'arrivée.

Athènes, berceau des Jeux, 29 août 2004, 18 heures, dernier jour de la XXVIIIe olympiade. Cent deux hommes s'élancent depuis la ville de Marathon pour une course de 42,195 kilomètres. Ils se mettent en route à l'endroit d'où, en 490 av. J.-C. , le messager Phidippidès serait parti pour annoncer aux citoyens athéniens la victoire des Grecs sur les Perses durant la première guerre médique. Plusieurs centaines de millions de téléspectateurs se trouvent devant leur poste pour ne pas rater l'événement et la victoire promise au Kenyan Paul Tergat qui, un an plus tôt, a établi le record de la discipline.

Jusqu'à la mi-course, tout se déroule selon les pronostics. Soudain, les commentateurs éberlués voient le dossard 1234 prendre la tête de la course et s'y maintenir, foulée après foulée. Qui est donc cet outsider déjouant les prédictions ? Il s'agit de Vanderlei Cordeiro de Lima, un Brésilien de 35 ans au palmarès plutôt modeste : 75e lors des JO à Sydney (Australie), en 2000. Ce fils d'ouvriers agricoles, dernier d'une fratrie de sept enfants, employé dès l'âge de 8 ans, a commencé à courir en rentrant chez lui après son travail aux champs. "Enfant, je n'avais rien" raconte-t-il. Adolescent, son école organise une compétition sportive. On lui prête des chaussures, il gagne et tout s'enchaîne.

Au 35e kilomètre, il compte trente secondes d'avance sur les concurrents lancés à sa poursuite et semble en passe de réaliser l'exploit. Toutes les caméras du monde sont braquées sur son visage émacié, quand l'impensable se produit. Sorti de nulle part, un hurluberlu en kilt rouge, béret et hautes chaussettes vertes, plaque Lima au sol. Le rictus d'effroi de l'athlète trahit sa pensée immédiate : son rêve olympique se brise. Rapidement aidé par un spectateur grec, Vanderlei de Lima reprend sa course, hébété, en claudiquant légèrement. Entre-temps, deux de ses poursuivants l'ont dépassé. Grâce aux ovations du public, il réussit à se classer troisième et décroche la médaille de bronze en héros !

L'énergumène qui l'a agressé est identifié. Il s'agit d'un ancien prêtre irlandais nommé Cornelius "Neil" Horan. Libéré de ses obligations sacerdotales en 2002 pour cause de pitreries, il s'était déjà illustré le 30 juillet 2003 quand il avait fait irruption sur la piste du Grand prix de Grande-Bretagne de F1 au milieu de bolides lancés à 320 km/h. Le but de ses exhibitions : "Annoncer la seconde arrivée du Christ". Condamné à douze mois de prison avec sursis, 3 000 euros d'amende et expulsé de Grèce, il écrira plusieurs fois à Lima pour s'excuser. Las, ce dernier ne répondra jamais. Cette mésaventure aura cependant fait de l'athlète brésilien l'un des perdants les plus magnifiques de l'Histoire. Le 7 décembre 2004, le CIO lui décerne la médaille Pierre-de-Coubertin pour son fair-play et son esprit sportif. Et lorsque son pays accueille les Jeux en 2016, il a l'insigne privilège d'allumer la vasque olympique de Rio. Un honneur commenté avec mauvaise foi par l'ancien prêtre excentrique : "Si je ne l'avais pas stoppé à Athènes, il n'aurait pas été si célèbre"

Le Pèlerin [archive]

 

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Documentation

Des Jeux Olympiques très politiques (Hérodote.net) [archive (version abrégée)] [PDF]

Un survol de toutes les olympiades de l'ère moderne, d'Athènes (1896) à Rio (2016). Tokyo 2020 (2021) : Les Jeux Olympiques, plus que jamais en phase avec le reste du monde, n'ont pas échappé à la pandémie de covid-19. Ils se déroulent à Tokyo comme prévu, mais pour la première fois avec un décalage d'un an et devant un public très clairsemé.

Leni Riefenstahl n’avait peur de rien (Causeur 12/08/2024)

Voir aussi

Disciplines disparues des JO

Jeux olympiques (Arts martiaux et Sport de combat)

Jeux olympiques : de la gloire à l'oubli

Jeux olympiques des antiques origines

Jeux olympiques : le salut

Natation aux JO d'Athènes 1896 et d'autres Épreuves oubliées des JO d'hiver

Quand l’art concourait aux Jeux olympiques (Beaux Arts 16/09/2021) [archive]

Serment & Drapeau olympiques JO 1920

 

 

 

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