Il est des gens extraordinaires qu’on ne retrouvera jamais plus.
Une internaute
L’ASILE DE SAINT-ALBAN
Transmis par Christian LE Moulec (La culture générale) le 20 avril 2020
« Le château où les fous étaient rois » !
L’extermination « douce » : 40 000 malades mentaux sont morts de faim dans les hôpitaux sous Vichy…
En janvier 1940, le Catalan Francesc Tosquelles Llaurado, psychiatre de 27 ans, fait son entrée dans le château féodal de Saint-Alban-sur-Limagnole, sur le plateau de la Margeride, en Lozère. Condamné à mort par l’Espagne de Franco, il a dû fuir son pays. Dans ses bagages, il va apporter là un vent de liberté.
Dans ce château, à quelque 1000 mètres d’altitude, sont internés six cents aliénés auxquels personne n’adresse la parole. En octobre 1940, la France crie famine, sauf les privilégiés du régime de Vichy, cela va de soi. Du coup, les malades de l’asile, n’ont droit qu’à une demi-portion quotidienne moyenne (en gros, 100 grammes de pain et 10 grammes de viande), car jugés parfaitement inutiles.
Tosquelles prend le risque d’envoyer les malades dans les champs pour aider les fermiers. Moyennant quoi, ces nouveaux travailleurs sont rétribués en vivres : pommes de terre, choux…Et ça marche ! Non seulement, ils ne meurent point de faim, mais ils se « remplument » psychiquement. Le Catalan les accompagne au bistrot, à la foire et à l’église le dimanche, mais aussi et surtout dans leur cheminement intérieur. Il qualifie cela de « social-thérapie ». Il entend apporter à Saint-Alban « cet esprit égalitaire et fraternel qui correspond à ses aspirations politiques et morales ».
Une radio est mise en place. Le « Trait-d’union » est un quotidien entièrement réalisé par les patients. Une bibliothèque est créée ; elle atteindra 40 000 ouvrages. On ouvrira même une banque. Enfin est ouvert un bistrot « L’Escapade » où tous trinquent ensemble, patients et soignants !
C’est ainsi que voit le jour le mouvement dit de « psychothérapie institutionnelle ». Il s’étend partout en France. Un ancien infirmier se souvient « Des collègues parisiens nous appelaient pour nous envoyer leurs grands délirants, leurs cas de psychose fascinants, d’une grande richesse, sachant qu’on allait en trouver la clé ».
Il y a également des défilés de carnaval à travers le village. Une fille d’infirmier se souvient de « ces costumes chamarrés et soignés, confectionnés par les patients eux-mêmes, ces personnages fantastiques, presque magiques…C’était tellement beau ! ».
Ainsi, dans cette dure Margeride, les fous apportaient un peu de fantaisie et ouvraient des portes dans l’esprit des habitants. On ne les craignait plus, et même on les aimait bien.
Fin 1942, arrive en renfort le médecin psychiatre Lucien Bonnafé. Du coup, l’art brut devient omniprésent dans le château-hôpital. De très belles réalisations voient le jour : telles les œuvres sculptées d’Auguste Forestier ou les toiles brodées de Marguerite Sirvins.
En novembre 1943, Paul Éluard, recherché par le régime, vient se réfugier là. Le prétexte officiel est « psychose légère ». Il reste six mois « caché dans la maison des fous » (titre de l’ouvrage de Didier Daeninckx). Éluard conforta Bonnafé dans l’idée « que tous les êtres sont égaux devant le rêve ».
Georges Canguilhem, médecin et résistant, auteur de « Le Normal et le Pathologique » trouve lui aussi refuge dans ce château loin du monde. Tristan Tzara viendra également. Juifs, maquisards et autres mis à l’index par le régime se réfugieront à Saint-Alban.
Mais aujourd’hui ?
« Une autre stratégie managériale s’est emparée de l’hôpital, entraînant une grande souffrance des travailleurs et des malades », selon le psychiatre Michel Lecarpentier de la clinique de La Borde (Loir-et-Cher) nouveau refuge de « l’esprit Tosquelles ».
Où sont passés les "fous" auxquels Tosquelles avait restitué leur humanité, de 1940 à 1961 ? Eh bien, ils sont une soixantaine, parqués dans un édifice moderne, alors que les bâtisses historiques tombent en ruine. Certes, les Journées de Saint-Alban, rendez-vous de la psychiatrie, existent encore, mais Patrick Chemla, du centre Antonin-Artaud de Reims remarque « L’imaginaire collectif, sociétal, a changé. Notre époque n’est plus portée par la Libération ».
C’est bien la fin d’une belle, d’une très belle histoire…
Internautes
"Merci pour ce rappel historique trop souvent occulté pour de multiples raisons. La reconnaissance de l'autre dans son altérité permet de l'intégrer de fait dans ce que certains osent encore appeler humanité ! Merci encore." (Christian)
"Très beau récit. Et beaucoup de tendresse dans l'évocation d'une résurrection de l'hôpital des fous qui prouvaient ainsi qu'ils avaient des ressources artistiques et qu'ils pouvaient parfaitement se sociabiliser pour peu qu'on leur prête attention." (Claude)
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Mosaïques (série)