Philippe Kerlouan – Boulevard Voltaire 25/08/2023 [archive]
Extraits
À quelques jours de la rentrée des classes, certains peuvent encore se demander à quoi bon apprendre le latin, une langue morte ?
[...] L'enseignement des langues anciennes ne se porte pas bien et son état continue de se dégrader. [L'enseignement du latin est malade – ne parlons pas du grec, qui est encore plus mal en point.] Le préjugé de l'utilitarisme, qui proscrit ce qui n'est pas immédiatement rentable, et celui de l'égalitarisme, qui trouve son idéal dans la médiocrité, règnent sur la pensée des prétendues élites qui nous gouvernent.
[...]
Pourtant, le latin est bénéfique à plusieurs égards *. L'article du Figaro en donne quelques exemples, comme une meilleure compréhension de notre propre langue et de notre histoire. Il facilite un meilleur apprentissage de l'orthographe, du vocabulaire et de la grammaire. Il peut avoir, pour les élèves qui ont le plus de difficultés, une vertu thérapeutique. Mais, dans notre école, le sens de l'effort s'est perdu, la société n'y incite guère non plus, les technocrates au pouvoir restent les bras croisés en attendant que le latin meure définitivement.
* Le Figaro a publié en mai 2023 : "Pourquoi il est urgent de connaître son latin"
Le ministre Edgar Faure fut bien mal inspiré quand il prit la décision de supprimer l'enseignement du latin en classe de 6e. Après 1968, le latin est considéré comme une entrave à la démocratisation de l'école, un frein à l'ascension sociale, un facteur de discrimination - alors que c'est tout le contraire. Le préjugé de l'égalitarisme n'a pas fini de faire des ravages, affectant, en premier lieu, les enfants qui n'ont que l'école pour se cultiver et les tirer vers le haut, pour s'accoutumer à la rigueur de la langue latine, pour fréquenter Cicéron, Sénèque ou Catulle.
Vous l'aurez compris, les grands ennemis du latin et, plus généralement de la culture, c'est l'utilitarisme, qui confond le juste et l'utile ; c'est surtout l'égalitarisme, qui veille à ce qu'aucune tête ne dépasse. Emmanuel Macron, qui vient d'instaurer un "fonds d'innovation pédagogique" – comme si l'innovation était la panacée et une fin en soi – s'accommode du déclin de l'enseignement du latin. Pour l'élite autoproclamée, l'école doit former des exécutants destinés à produire et à consommer. La connaissance du latin, en ouvrant les horizons et les esprits, risquerait de donner au peuple les moyens d'échapper à la soumission et de contester sa puissance.
Lire aussi De l’inutilité du latin (BV 07/05/2023) [archive]
Internautes et courts extraits
Mes premières années au lycée Charlemagne à Paris en classe de latin, déjà le regret que ce soit devenu une langue dite morte, qu’on ne savait plus comment prononcer les mots comme à l’époque - laquelle ? le latin était encore parlé au VIe siècle. Mais quel plongeon dans l’Histoire et la culture du monde antique gréco-romain ! Je m’y sentais comme rattaché par un fil d’Ariane. (Vez.)
Faisant partie des enfants ayant eu latin-grec dès la sixième, si le grec s’est "éloigné" de ma mémoire, le latin dans ma profession m’a été très utile, ayant commencé ma carrière d’enseignant en médecine par l’enseignement de l’anatomie, dont les dénominations os, vaisseaux ou muscles sont en latin, langue universelle, eh oui à Tokyo ou à New York, la "fibula" veut dire la même chose. (Pou.)
[...] comme en botanique où l'on utilise le latin pour que tous les botanistes du monde se comprennent et qu'il n'y ait pas d'erreur *. On voit aussi cela en homéopathie dont vous pouvez acheter les remèdes dans n'importe quel pays sans problème. (Lu dans Comprenette )
* Voir Parler latin pour classer la Nature par Philippe Cibois, sociologue – Aussi Carl von Linné
Comment comprendre le français - ou traduire l’espagnol sans l’avoir appris - sans base de latin ? Comment déchiffrer les termes médicaux sans de bons rudiments de grec ? Passons donc tous à l’américain dont les anglophones anglophiles redoutent tant l’extension incontrôlable. (Jean)
Il fut un temps désormais lointain où le latin était enseigné dès la 6ème et une initiation au grec en 4ème. Une année de grec était déjà suffisante pour connaître quelques bases d’étymologie, donc de compréhension du français. Si nos ministres avaient connu le grec, s’ils avaient saisi la nuance entre le "homo" latin et le "homo" grec, ils nous auraient évité l’ineptie du mot "féminicide". Si nos Académiciens ont refusé d’adopter ce barbarisme, c’est justement parce qu’ils connaissent le grec. Tuez le latin, vous achevez la langue française. (Agc.)
"... j’en suis devenue une fervente défenseure", déclare Diane, 27 ans, qui a choisi d’étudier le latin jusqu’au bac. [...] le mot "défenseure" est difficilement défendable. Je dirais même que l'une des raisons qui pourraient nous inciter à faire apprendre le latin à nos enfants serait justement de leur faire comprendre pourquoi on ne peut pas dire "défenseure", même si la société nous en laisse la licence aujourd'hui. Ce n'est pas le seul point sur lequel la société permet des choses qui ne devraient pas être autorisées. (Lu dans Une prof en France)
Pour moi qui ai fait du latin et de l’économie, le latin peut avoir sa place dans un système utilitariste. Il permet effectivement de mieux comprendre notre langue, mais aussi d’apprendre plus vite l’italien et l’espagnol. Dans certains postes des entreprises ou de l’Administration, il est utile de bien manier la langue française, notamment de bien comprendre le sens des mots, de bien choisir les mots pour exprimer ses idées. Il y a tellement de guerres et de conflits sur des malentendus ! - Cf. la fameuse dépêche d’Ems *. (Pierre)
* En PDF : 13 juillet 1870 - La dépêche d'Ems (Hérodote.net) – Voir aussi Sémantique, éthique et piques
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Voir aussi
Une prof en France (+ Mort du latin : préparez vos mouchoirs)