Marie-France Garaud (1934-2024), conseillère des Présidents Georges Pompidou et Jacques Chirac, enfoncée depuis quelques années dans la nuit cotonneuse d’Alzheimer, est morte ce mercredi 22 mai 2024. Elle avait 90 ans.
Capture d'écran INA
Elle avait oublié le monde, mais qu’y aurait-il eu qui fût digne qu’elle s’en souvînt, dans la France de 2024 ? Le monde politique et médiatique, d’ailleurs, l’avait oubliée en retour. Avec la mort de Marie-France Garaud disparaît, comme un dernier symbole, tout un pan de la France des Trente Glorieuses.
Née en Poitou peu avant la guerre, elle avait reçu une éducation classique (du latin, du grec, du piano), « chez les sœurs », évidemment, comme Patricia dans Les Tontons flingueurs. Elle garda toute sa vie un côté « bourgeoisie de province » à la fois touchant et rassurant - totalement décomplexé, en tous les cas. Mariée jeune, deux enfants, un petit château dans les Deux-Sèvres, Marie-Françoise Quintard, épouse Garaud, aurait pu se satisfaire d’une vie ronronnante et sympathique, avec des dîners et des chasses, deux ou trois moments de grâce ou de douleur, et une mort paisible au-dessous d’un crucifix sombre dans un lit ancestral. Cela aurait été bien dommage. Marie-France Garaud, mécanique intellectuelle de premier ordre, était une femme de tête dans un monde politique très masculin, un monde de machos qui vivaient sur des prérogatives médiévales en ayant cessé de les mériter.
Avocate à Poitiers, puis assistante parlementaire de son ancien prof de droit, elle commence à accomplir son destin en 1969, quand Pompidou accède au pouvoir et que, forte d’un livre biographique qu’elle avait écrit pour le lancer, elle devient sa conseillère de l’ombre. Elle avait rencontré, deux ans plus tôt, un certain Pierre Juillet, très provincial lui aussi, au sens le plus noble du terme. Juillet, le chasseur qui fumait la pipe, Garaud, la flingueuse aux rangs de perle : ces deux-là porteront à bout de bras la campagne de Valéry Giscard d’Estaing, puis prendront sous leur aile le jeune Jacques Chirac. Aveuglée par le charisme du député de Corrèze, Marie-France Garaud pense qu’il incarnera la France de droite, ancrée dans la terre des pères, mais aussi moderne et confiante, une France à la fois chaleureuse et droite dans ses bottes. Fatale erreur : Jacques Chirac est un orientaliste contemplatif qui joue les soudards, une girouette narcissique qui se fait passer pour Cincinnatus. Elle ne l’a pas vu. Elle le fera élire maire de Paris en 1975, avant de le quitter avec ces mots cruels :
« Je pensais que Jacques Chirac était du marbre dont on fait les statues. Il est en fait de la faïence dont on fait les bidets. »
Lire RTL (23/05/2024) [archuve]
Candidate à la présidentielle, pour le symbole, face à Mitterrand (et à Chirac), elle finit sous les 2 %. Législatives de 86, traité de Maastricht, opposition à l’intervention en Serbie, elle perd presque tous ses combats des tristes années 80 et 90, sauf les européennes de 1999 qui la propulsent au Parlement européen avec Villiers et Pasqua, jusqu’en 2004. Par la suite, on l’entendra de nouveau, en 2017, déclarer qu’elle va voter pour Marine Le Pen, objectivement la seule à incarner une partie de la France qu’elle aima - celle de la diagonale du vide -, sans pour autant rassembler la « bourgeoisie blanquette de veau », selon la très juste expression de Gabrielle Cluzel, cette bourgeoisie provinciale à la fois cinglante et tranquille, brillante et timide - cette bourgeoisie que Juillet et Garaud incarnèrent à la perfection.
Malgré son tailleur en tweed, son collier de perles et son impeccable chignon, malgré son indubitable féminité, Marie-France Garaud, dans l’écurie politique (une écurie de hongres qui se prennent pour des pur-sang), était le dernier homme politique de droite. À elle, désormais, la grande, l’éternelle paix. À nous la guerre qui vient.
Boulevard Voltaire (23/05/2024) [archive]
Lire aussi Causeur (25/05/2024)
La divine Marie-France, qui écrivit "La fête des fous" ; elle me manque, en fait. Les hommages tonitruants et gluants rendus à des hommes gluants donnent une réelle résonance au silence qui environne sa disparition. (internaute Marcel)
Photo : "Marie-France Garaud (1934-2024) photographiée en 2010 © BALTEL/SIPA" adresse : https://www.causeur.fr/wp-content/uploads/2024/05/mf-garaud-droite-france.jpg
Documentation en vidéos
Philippe de Villiers : "Mon hommage à Marie-France Garaud" (17 mai 2024) - L'émission complète : [https://www.youtube.com/watch?v=lwtQmvXm-zw]
CNews (Philippe de Villiers) sur Marie-France Garaud dans la vidéo du 24 mai 2024 à partir de 2:04
Louis de Dreslincourt évoque Marie-France Garaud dans sa vidéo du 24 mai 2024 à partir de 16:20