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L’écrivain français d’origine tchèque, Milan Kundera, est mort ce 11 juillet 2023, à l'âge de 94 ans, a annoncé la télévision tchèque mercredi 12 juillet.

Kundera Milan Paris 1969 NB

Photo © CHOCHOLA/SIPA - Kundera Milan Paris 1969

Il avait obtenu la nationalité française en 1981. Si ses premiers ouvrages étaient écrits en tchèque, à partir de 1993, il n'usa plus que de la langue française dans ses écrits. Écrivain prolifique, il publia des œuvres extrêmement célèbres, comme L'insoutenable légèreté de l'être ou encore La Plaisanterie.

Extrêmement soucieux de conserver sa vie privée, Milan Kundera n'accorde plus d'entretiens oraux dès 1985, se contentant de répondre par écrit aux questions. Dans les éditions de ses livres en France, sa biographie officielle se résume à cette simple formule : "Milan Kundera est né en Tchécoslovaquie. En 1975, il s'installe en France".

"Des romans (les premiers lus à la fin de l'adolescence) qui vous marquent à jamais. Début de la fin des illusions immatures sur le communisme et la 'création d'un homme et d'un monde nouveaux'. Et ces crétins du Nobel de couronner Ernaux..." (internaute D.K.)

"Le roman dans ce qu'il a de meilleur. Kundera a décapé mon esprit à chacun de ses bouquins. Les autres auteurs qui m'ont accompagnés étaient des passe-temps en comparaison. Passer de la langue tchèque au français impeccablement ciselé, quel esprit. Milan mort voici venu le temps des grognements et des borborygmes." (internaute F.C.)

Milan Kundera était l’un des esprits les plus européens qu’on puisse trouver. Sa vie relativement mouvementée, ainsi que son œuvre romanesque et ses essais, en témoignent. Né le 1er avril 1929 à Brno, dans l’ancienne Tchécoslovaquie, il est le fils d’un musicologue. Il monte à Prague faire ses études supérieures, qui le mènent d’abord à la faculté des lettres, puis à l’École supérieure de cinéma, la FAMU. Devenu professeur, il est exclu une première fois du Parti communiste en 1950, avant de s’y voir réintégré. C’est l’époque où il publie ses premiers livres de poésie, qu’il reniera par la suite. Lors du Printemps de Prague, en 1968, il participe à l’élan général de liberté. Il a publié La Plaisanterie en 1967, et donne en 1968 Risibles amours, deux livres qui coïncident magistralement avec leur époque. En 1970, il est écarté définitivement du PC et perd son poste d’enseignant. C’est la période où il rédige des romans comme La Vie est ailleurs (paru en 1973 en France) ou encore La Valse aux adieux (en 1976).

"Nous n’entendrons plus le bel accent d’Europe centrale de Milan Kundera. Mais l’œuvre de ce maître dans l’art du roman nous accompagne. Honte au jury Nobel qui a oublié cet immense écrivain." (Élisabeth Lévy)

L'installation en France

Milan Kundera est venu s’établir en France au milieu des années 1970, d’abord à Rennes, ensuite à Paris, trois ans plus tard. Une nouvelle ère s’ouvre à lui, au cours de laquelle il publiera ses œuvres les plus célèbres, devenant l’un des romanciers les plus lus au monde, en particulier avec L’Insoutenable légèreté de l’être, en 1984, bientôt porté à l’écran dans une adaptation qui le décevra. Kundera avait accepté de passer à l’émission de télévision Apostrophes, pour parler de ce roman. C’est à cette occasion que beaucoup de lecteurs le découvrirent et le virent se livrer avec sincérité et courage au jeu des questions et des réponses. Il en imposait, à vrai dire, lui, le survivant de la dictature soviétique, repartant presque de zéro, et réussissant par sa seule volonté à se rétablir et à s’offrir une seconde vie. J’ai revu il y a quelque temps ce grand moment de télévision, et Kundera m’est encore apparu comme un bûcheron prêt à tailler à la hache une forêt de haute futaie.

"Bien triste nouvelle que la mort du très grand Milan Kundera (1929-2023). Le romancier tchèque, auteur de 'La Plaisanterie' ou 'L'Insoutenable Légèreté de l'être', devenu français en 1981, est mort le 11 juillet, à l’âge de 94 ans." (Causeur)

Apostrophes : Kafka, Orwell, Kundera (Antenne 2 | 27/01/1984) | Archive INA

L'Europe de la culture

Il faut noter que Kundera se mit à utiliser le français comme langue originale de ses livres à partir de 1993. Ce fut donc le cas pour L’Identité (1998), qui reprend des thèmes majeurs chez lui, ainsi que La Fête de l’insignifiance (2014). Le travail littéraire de Kundera a, par une sorte de retour aux sources, libéré véritablement le roman moderne d’un carcan formel assez contraignant, de type avant-gardiste. Ses influences sont d’ailleurs significatives, principalement européennes ou centre-européennes : pêle-mêle on peut citer Kafka, Gombrowicz, mais aussi Rabelais, Diderot et Goethe, et quelques autres. Son article, "Un Occident kidnappé", publié dans la revue Le Débat en 1983,  mettait bien en évidence ce penchant pour l’Europe, une Europe de la culture qui, à ses yeux, n’existait plus guère, et dont il avait la nostalgie la plus poignante, mais sans pathos.

Le royaume des morts

Kundera avait la réputation d’être un écrivain secret, n’accordant que très rarement des interviews. Mais en réalité il se révélait sans frein dans ses romans et ses essais, pour peu qu’on y fût attentif. Ainsi dans Une rencontre (2009), il consacrait tout un très beau et surprenant chapitre à Malaparte et à son récit La Peau. En évoquant l’art romanesque de Malaparte, c’est au sien que Kundera pensait, en particulier lorsqu’il écrivait ceci en conclusion, à propos des "morts de tous les temps" :

"ils se moquent de nous, ils se moquent de cette petite île de temps où nous vivons, de ce minuscule temps de la nouvelle Europe dont ils nous font comprendre toute l’insignifiance, toute la fugacité…"

On retrouve bien ici l’ironie subtile de Kundera, la même qui irrigue ses fictions, et également cette philosophie désabusée, mais enjouée, qui nous pousse, nous, ses lecteurs, dans un même geste, à tenter encore notre chance. Désormais, Kundera n’est plus, il a rejoint, lui aussi, le royaume des morts – mais son œuvre demeure comme une part immortelle de nous-mêmes et des choses d’ici-bas.

Jacques-Émile Miriel dans Causeur [archive]

Ni réactionnaire, ni moderniste

Si les sociétés soviétisées prétendument socialistes cultivaient la négation du passé traditionnel celles de la post modernité occidentale souffrent d'un autre fléau : celui d'un bavardage médiatique qui ne s'interrompt jamais comme si le silence, la prière ou la simple contemplation étaient devenues d'étranges manies. Comment vivre dans un monde sans mémoire devenu la proie du spectacle et de la vulgarité marchande ? Dans un de ses derniers romans, La Fête de l'insignifiance (2003), Kundera montre à quel point notre époque vouée à la lourdeur de l'esprit de sérieux est

"d'autant plus drôle qu'elle a perdu tout sens de l'humour".

Plus que critique envers le pseudo progressisme de la modernité il sera à l'origine, en 1987, de la revue Le Messager européen initiée par Alain Finkielkraut et consacrée en particulier aux écrivains et penseurs dissidents du bloc de l'est. Pour Kundera l'idée même d'Europe était impensable sans ceux qui, tels Jan Patocka ou Vaclav Havel, avaient été les fers de lance de la lutte anti totalitaire. Ni réactionnaire ni moderniste, l'œuvre de Milan Kundera peut, à certains égards, être considérée comme une formidable protestation à l'encontre de "l'immense conspiration contre la vie intérieure" que Bernanos dénonçait à travers "le monde moderne". Dans une lettre à Philippe Sollers publiée en 1989 Kundera écrivait :

"Le discours prédominant de nos jours n'a rien de voltairien ; le monde technocratisé dissimule sa froideur sous la démagogie du cœur."

Les menaces sur la culture l'inquiétaient :

"Un jour toute la culture passée sera complètement réécrite et complètement oubliée derrière son 'rewriting'".

Publiée dans La Pléiade en 2011, son œuvre a connu une consécration qui transcende les clivages idéologiques et philosophiques. Milan Kundera a obtenu moult prix littéraires dont Le grand prix de littérature de l'Académie française en 2001, le prix mondial Cino Del Duca en 2009 et le prix de la Bibliothèque nationale de France en 2012. Il fut réhabilité par son pays natal qui lui rendu sa nationalité en 2019. Dès 1991, son roman La Plaisanterie avait été autorisé à nouveau à Prague. Kundera avait alors demandé que ses droits d'auteur servent à l'édition en tchèque de Céline.

Le Figaro/livres [archive sans media]

Lire aussi

Éloge de la "frontière terriblement floue" (Causeur 17/07/2023)

Milan Kundera (1929-2023) Alexandre Calinescu IREF Europe FR [archive]

Pourquoi Milan Kundera, déconstructeur du kitsch, nous rend service
(LSDJ 22/07/2023) [archive]

Kitsch religieux et dynamique de la foi (Cairn.info) [PDF]

Un Occident kidnappé, de Milan Kundera (Conflits 16/07/2023) [archive]

Milan Kundera (miniature)

Internaute D.P. : Pourquoi Kundera, comme Roth, n'a jamais eu le Nobel ?

"Fatiguée après une mauvaise nuit, Chantal sortit de l'hôtel. En route vers le bord de mer, elle croisa des touristes de week-end. Leurs groupes reproduisaient tous le même schéma : l'homme poussait une poussette avec un bébé, la femme marchait à côté de lui ; le visage de l'homme était bonasse, attentif, souriant, un peu embarrassé et toujours prêt à s'incliner vers l'enfant, à le moucher, à calmer ses cris; le visage de la femme était blasé, distant, suffisant, parfois même (inexplicablement) méchant [il y a des exceptions, ne me faites pas dire ce que Chantal a pensé]. Ce schéma, Chantal le vit se reproduire en diverses variantes : l'homme à côté d'une femme poussait la poussette et portait en même temps, dans un sac spécial, un bébé sur le dos; l'homme à côté d'une femme poussait la poussette, portait un bébé sur les épaules et un autre dans un sac sur le ventre ; l'homme à côté d'une femme, sans poussette, tenait un enfant par la main et en portait trois autres sur le dos, sur le ventre, et sur les épaules. Enfin, sans homme, une femme poussait la poussette ; elle le faisait avec une vigueur inconnue des hommes, si bien que Chantal qui marchait sur le même trottoir dut au dernier moment faire un saut de côté.

Chantal se dit : les hommes se sont papaïsés. Ils ne sont pas pères mais juste papas, ce qui signifie : pères sans autorité de père. Elle s'imagine flirter avec un papa qui pousse la poussette avec un bébé et en porte encore deux autres, sur le dos et sur le ventre ; profitant d'un moment où l'épouse se serait arrêtée devant une vitrine, elle chuchoterait un rendez-vous au mari. Que ferait-il ? L'homme transformé en arbre d'enfants pourrait-il encore se retourner sur une inconnue ? Les bébés suspendus sur son dos et sur son ventre ne se mettraient-ils pas à hurler contre le mouvement dérangeant de leur porteur ? Cette idée lui paraît drôle et la met de bonne humeur. Elle se dit : je vis dans un monde où les hommes ne se retourneront plus jamais sur moi." (Milan Kundera, L'Identité pp19-20)

Eh bien voilà pourquoi Kundera, comme Roth, n'a jamais eu le Nobel ! Ce regard ne pouvait lui être pardonné par ceux qui, si j'ose dire, crachant le morceau, sinon leur venin œdipien, ont couronné Ernaux...

Les écrivains sont nos maîtres, disait mon cher Freud... J'ai souvent repris, cité, ce passage de L'identité, et cela dans le fil de ce que Sollers, pressentant dès 1978 le cœur de l'idéologie qui nous venait des USA (l'idée délirante que d'un homme on pouvait faire une femme!), avait si bien relevé en 83, dans Femmes : ces façons dont l'homme se trouve requis dans l'hystérie féminine à devoir être une femme (1), avec pour conséquence, s'il y consent, et s'y trouve conforté culturellement, de se voir démis de sa position de père, j'ajoute, de père comme tel.

(1) une femme telle qu'il en est dans la représentation infantile inconsciente de celle-ci -- représentation qui justement gouverne, serait-ce à son insu, l'hystérique (mâle ou femelle, peu importe) -- c'est-à-dire une femme entendue comme castrée, comme un homme castré...

J'ai beaucoup aimé ce choix de Miriel, merci à lui, sur le thème de cette petite île de temps où nous vivons.

... Aux influences revendiquées par Kundera, il convient me semble-t-il d'ajouter celle de Broch.

Kundera, que je pleure comme on pleure un ami, a souligné avec force cette influence de Hermann Broch, tant pour ses romans (La mort de Virgile, Les somnambules) que ses essais. Essais que j’ai découverts grâce à lui, et qui avec ses romans, ont beaucoup compté pour moi. Pour rejoindre et conquérir cette "sagesse du roman", celle là même de l'interprète...

Milan Kundera (1929-2023) en 1969

1969 © CHOCHOLA/SIPA

 

 

 

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