Philippe Sollers, l’écrivain qui marqua profondément la littérature française depuis les années 1960, très malade depuis plusieurs mois, est mort le 5 mai 2023 à 86 ans.
Né le 28 novembre 1936, et parti dans les couloirs du temps le 5 mai 2023, il faudra reprendre l’itinéraire de cet homme sans cesse en mouvement, provocateur, charmeur, cultivé, brillant (son vrai nom est Joyaux) aimant les femmes (vraiment) émancipées, et diablement intelligent. (Pascal Louvrier)
Il a vécu avec Voltaire, Hölderlin, Sade, Mozart, Casanova, Hegel, Rimbaud et Lautréamont
Le dernier réac des modernes, pape des lettres françaises qui se voulait anarchiste et qui vient de casser son fume-cigarette, rejoindra-t-il son vieil ennemi Jean-Edern Hallier avec qui il avait fondé Tel Quel ? Philippe Sollers, adoubé dès son entrée en littérature par Mauriac et Aragon pour Une curieuse solitude, n’est jamais sorti de l’ambiguïté… même si les révisions déchirantes ne lui ont jamais fait peur. Après la mort de Mao, en 1976, Tel Quel change de cap et prend fait et cause pour les États-Unis.
Sollers n’est pas né Sollers. Mineur, il troque son patronyme pour celui de Sollers (du latin sollus et ars, "tout entier art"). Pourquoi ce nom de plume ? Parce qu'il voulait dissimuler un trésor, un talisman, son nom de naissance : Joyaux. D’où a surgi Sollers ? De l’Odyssée bien sûr, dont il a tiré ce nom dans la nuit d’un internat jésuite d’après les qualités morales d’Ulysse transposées en latin. Sollers signifie "adroit", "habile", "ingénieux" : il est le maître des sorts. On peut entendre aussi, au loin, dans le chant des sirènes, ceci : Sollus ars... (Samuel de Loth)
« Qui lit encore ? »
Désormais, l’état d’urgence pour Sollers dans sa "librairie" comme on parlait de celle de Montaigne, est de préserver l’Histoire, le latin et le grec, et de faire le gros dos parce que la liberté est à ce prix.
Paradis, texte sans ponctuation, sans majuscules et sans paragraphes, publié en 1981, soulève d’emblée la question de l’interprétation. Marié à la psychanalyste et linguiste Julia Kristeva, les séminaires de Lacan ont été décisifs dans son écriture. Aujourd’hui, c’est tout Philippe Sollers qui est jeté en proie aux vivants, pour reprendre l’expression sartrienne. Et Dieu sait si les woke veillent.
À Bordeaux, entre Montaigne et Montesquieu, le jeune Philippe découvre le français, langue pensante. Tôt il s’intéresse aux femmes mûres. Son tropisme. Bien plus tard, il voue un "amour fou" à l'écrivain belge Dominique Rolin, de 23 ans son aînée. Ce fils d’une famille d’industriels catholiques abandonne ses études pour se consacrer à la littérature et troque son patronyme pour celui de Sollers. Contrairement à un slogan stupide, le lecteur de Sun-Tzu suggère "Faites la guerre et l’amour", guerrier et amoureux, c’est la même chose, c’est la même activité, les femmes le savent très bien.
En 1998, chez Pivot, l’auteur de Femmes écoute Virginie Despentes évoquer son rapport complexe au désir masculin. L’écoféministe affirme que sous l’Ancien Régime, elle n’aurait jamais pu "apprendre à lire ou à écrire" ; il abandonne son mutisme : "Ça ne s’est pas arrangé depuis." C’était ça, Sollers, tout était dit, comprenne qui pourra...
Thierry Martin
Benoît XVI
L’écrivain note en 2007 que les catholiques, avec leur messe et leur transsubstantiation, ne connaissent pas leur effarante singularité universelle. "Jean-Paul II a été une superstar inattendue ; Benoît XVI, avec son intériorité fervente et savante, commence à inquiéter sérieusement le spectacle de la dévastation globale. Il a déjà très mauvaise réputation. C’est parfait." (Thierry Martin)
« Faire le Mao »
Philippe Sollers niera avoir jamais été "maoïste". Dans un livre d'entretiens, le sinophile affirme : "Je persiste à dire [...] que cette révolution épouvantable fait que la Chine est désormais la première puissance mondiale." Après la mort de Mao, en 1976, l'auteur publie une tribune dans Le Monde pour fustiger non seulement le maoïsme mais aussi le marxisme. (Thierry Martin)
Je [Pascal Louvrier] veux me souvenir des bains de mer, à la tombée des ombres dans l’Atlantique jamais tranquille, ce besoin soudain de faire la planche, de "faire le Mao" comme il disait, c’est-à-dire de guetter les erreurs de l’adversaire et de lancer une contre-offensive fulgurante. Je veux encore me souvenir de son bureau "dé à coudre", à la "banque centrale" – comprenez Gallimard. Il y préparait minutieusement ses bombes portatives. La plus réussie fut Femmes (1983). Lisez, et vous comprendrez…
Je [Pascal Louvrier] me souviens encore d’une promenade au pas de course dans le cloitre de Port-Royal, à Paris. Il avait quand même pris le temps de s’asseoir sur un banc. Il m’avait dit en substance qu’il fallait toujours rester libre, en agitant sa main gauche baguée. Il fallait pour cela esquiver, et prendre toujours des chemins de traverse, être clandestin tout en apparaissant le plus possible dans les médias qui se nourrissaient d’une fausse image de vous, vous laissant travailler en toute quiétude, dans le silence tout mozartien.
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Sources
https://www.causeur.fr/philippe-sollers-plus-vivant-que-jamais-259588
[archive] Pascal Louvrier
https://www.bvoltaire.fr/philippe-sollers-de-mao-a-benoit-xvi/
[archive] Thierry Martin
https://www.causeur.fr/sollers-couchant-259611
[archive] Samuel de Loth
Une chose m’a toujours fait sourire, l’affectation intellectualiste de citer systématiquement la maison d’édition lors de la mention du titre d’un ouvrage littéraire. On s’en contrefiche complètement. Est-ce que l’on cite qui a publié jadis Montaigne, Molière, Hugo ? (internaute B.)
Quels hommages ?
Je l'ai beaucoup lu dans ma jeunesse. Grâce à lui le catholicisme a cessé de m'apparaître comme une chose dépassée voire méprisable, mais tout au contraire comme un trésor. De ça je lui suis vraiment reconnaissant. Il fut d'autre part un critique très précoce du transhumanisme, du féminisme, et du politiquement correct qui désormais a dégénéré en wokisme. Pour le reste, j'ai fini par en faire le tour, j'ai cerné les poses, l'inconséquence de l'en-même temps sollersien (notamment dénoncer les conséquences dont on chérit les causes), les arrangements avec la réalité aussi, biographique, historique, et quelques fraudes intellectuelles (fausses trouvailles conceptuelles pseudo chinoises) démasquées par Juan Asensio. La faillite du freudisme (très présent dans beaucoup de ses livres) et les fruits pratiquement tous moisis de la génération mai 68 vont je pense beaucoup faire vieillir son œuvre, dont certaines qualités poétiques dureront peut-être cependant. (K.D.)
:-(
Il y aurait tant à dire sur cet "ego Sollers"… mais (presque) tout serait méchant, et superflu surtout… Sollers est un tordu dont les méandres de l’esprit se neutralisent. Il fut à la mode dans l’après 1968 avec les maoïstes, trotskistes, polpotiens. On ne voyait que lui dans les débats, mais le lisait-on, j’en doute. C’est le drame de certains écrivains, on en parle, ils sont médiatiques, mais on ne les lit pas. Cela, viendrait-il du fait qu’ils parlent trop à la télé et de ce fait ne laissent aucune chance à leurs écrits ? L’oral tue parfois l’écrit. Quant au Paradis, il n’y a certes pas le nom de "Sollers" sur la liste des invités. Lol. Ce personnage est déjà aux oubliettes. (des internautes)
En 1999 Sollers a écrit dans Le Monde un article intitulé "La France moisie", en voici un extrait :
"La France moisie a toujours détesté, pêle-mêle, les Allemands, les Anglais, les Juifs, les Arabes, les étrangers en général, l’art moderne, les intellectuels coupeurs de cheveux en quatre, les femmes trop indépendantes ou qui pensent, les ouvriers non encadrés, et, finalement, la liberté sous toutes ses formes. La France moisie, rappelez- vous, c’est la force tranquille des villages, la torpeur des provinces, la terre qui, elle, ne ment pas, le mariage conflictuel, mais nécessaire, du clocher et de l’école républicaine. C’est le national social ou le social national. Il y a eu la version familiale Vichy, la cellule Moscou-sur-Seine. On ne s’aime pas, mais on est ensemble. On est avare, soupçonneux, grincheux, mais, de temps en temps, La Marseillaise prend à la gorge, on agite le drapeau tricolore. On déteste son voisin comme soi-même, mais on le retrouve volontiers en masse pour des explosions unanimes sans lendemain. L’État ? Chacun est contre, tout en attendant qu’il vous assiste. L’argent ? Évidemment, pourvu que les choses se passent en silence, en coulisse. Un référendum sur l’Europe ? Vous n’y pensez pas : ce serait non, alors que le désir est oui. Faites vos affaires sans nous, parlons d’autre chose. Laissez-nous à notre bonne vieille routine endormie. (…)" (Eh oui, il lui fallait rester dans le vent) internaute J.B.
;-)