Ce que nous dit la courte vie de l’actrice américaine Shannen Doherty, décédée le 13 juillet 2024, d'un cancer du sein à seulement 53 ans.
Boulevard Voltaire 16 juillet 2024 [archive]
Shannen Doherty en 2011
Née le 12 avril 1971 et décédée le 13 juillet 2024, Shannen Doherty demeurera à jamais une sorte d’actrice de l’entre-deux-mondes du show-biz. Venue de l’ancien, elle fait ses premières armes en 1982 dans l’ultime saison, la neuvième, de La Petite Maison dans la prairie, dans le rôle de Jenny Wilder, nièce de la fameuse Laura Ingalls. Elle, aussi, n’affiche que neuf printemps.
Dans les années 1990, elle se fait un nom dans l’autre monde qui vient, celui d’une des séries les plus emblématiques de la décennie, Beverley Hills 90210, produite par le nabab Aaron Spelling, producteur n’ayant pas son pareil pour flairer l’air du temps : Starsky et Hutch ou Dynasty, c’est lui. À l’instar des publicités, on ne saura jamais si les feuilletons télévisés formatent la société du moment ou s’ils ne font que suivre l’air du temps ; éternelle histoire de la poule et de l’œuf.
Feuilletons pour gosses de riches
En revanche, Beverley Hills 90210 est parfaitement représentatif de son époque, mettant en scène aventures et déboires d’un groupe de jeunes Californiens, tous nés dans la haute société d’alors. Les années Reagan sont encore proches et celles de la Silicon Valley ne sont plus très loin. Point commun entre les deux ? La prime aux gagnants de demain plutôt qu’aux perdants d’hier, ceux de la "Rust Belt"
[ceinture de rouille, NDLR]
États industriels et ouvriers du Middle West, autrefois démocrates et, depuis, trumpistes.
C’est aussi l’époque de séries telles que Friends, aujourd’hui devenues légendaires, mais de moins en moins conformes aux canons humanistes contemporains : pas assez de diversité, trop de blagues désormais tenues pour lourdes sur les grosses (pardon : les femmes en surpoids) et les homosexuels.
À la fin du siècle dernier, il n’est pas toujours aisé de résister aux tentations, surtout dans le microcosme hollywoodien. L’alcool coule à flot, la cocaïne est distribuée à l’œil, les jeunes garçons sont beaux et les jeunes filles peu farouches. Comme si l’Hollywood babylonien des sixties jetait ses derniers feux. Shannen Doherty est manifestement peu armée pour affronter cet univers. D’où quelques arrestations pour conduite en état d’ivresse qui feront les délices des gazettes, sans oublier des mariages à répétition assurant à leur tour les gros titres de ces dernières. Un véritable piège à Cendrillon. Nombreuses sont celles qui y sombreront. C’était avant #MeToo. Aujourd’hui, les actrices ne se font guère de cadeau ; elles s’en faisaient encore moins alors, Tori Spelling, fille du producteur Aaron plus haut cité, la prend en grippe. Il est vrai qu’elle en rajoute dans son rôle de garce, ce qui finit par lui coûter une place lucrative dans cette série à succès.
Rebondir pour mieux sombrer ensuite
En 1998, Shannen Doherty rebondit dans un autre feuilleton promis à un triomphe international : Charmed. Avant même l’arrivée du bulldozer Harry Potter, la mode est aux jeunes sorcières un peu chipies sur les bords ; un rôle taillé sur mesure, en quelque sorte. Ce, d’autant plus qu’elle est alors trop puissante pour se contenter de prêt-à-porter. Pourtant, la mode se démode vite. Et Shannen Doherty aussi. Pour survivre, il lui faudrait savoir durer. Seulement voilà, toutes les actrices ne sont pas Meryl Streep ; surtout pas elle.
Vient bientôt le temps d’autres séries télévisées, de plus en plus omniprésentes, diffusées par les plates-formes de vidéos à la demande. On avait, jadis, accusé le cinéma d’avoir tué le théâtre, la télévision d’avoir fait de même du cinéma. Peut-être à tort, ces trois industries ayant finalement survécu. Mais vient désormais le temps où Netflix et ses concurrents sont accusés d’achever ce qui demeure d’Hollywood à l’ancienne, grandes salles, grands écrans et grands cornets de pop-corn.
Le terrible destin des enfants stars
Dans ce combat de titans la dépassant de loin, une starlette telle que cette pauvre Shannen Doherty en fut tôt réduite à se recycler dans le parent pauvre de cette industrie en proie aux bouleversements qu’on sait : la télé-réalité. Et comme the show must go on, son cancer du sein devint paradoxalement un argument propre à faire grimper les audiences.
Elle a finalement perdu le combat contre la maladie, à seulement 53 ans, sûrement broyée par un système qui la dépassait, tels qu’en témoignent les funestes et chaotiques destins d’autres enfants stars, tels Macaulay Culkin, le jeune héros de la saga Maman, j’ai raté l’avion, tombé dans la drogue en passant par la case prison. Ou encore de cette pauvre Britney Spears, jeune pouliche de l’écurie Disney ayant sombré dans les affres opiacées et les divorces médiatisés qu’on sait, au même titre que sa consœur Lindsay Lohan.
Pour les puritains d’autrefois, Hollywood, ironiquement située dans la Cité des anges, était synonyme de nouvelle Babylone. On ne saurait toujours leur donner tort.