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Le cinéaste Friedkin faillit mourir deux fois. En 1977, en revenant du tournage de Sorcerer avec 25 kilos de moins et la malaria. Et en 1980, d’une crise cardiaque alors qu’il roule vers ses bureaux chez Warner Bros. Il s’est finalement éteint quatre décennies plus tard, ce 07 août 2023, à Los Angeles, à l’âge de 87 ans.

William Friedkin sur le tournage de ''L’Exorciste'' en 1973 NB

Avec la jeune actrice Linda, William Friedkin sur le tournage de "L’Exorciste" en 1973

Intenable, façon caisse de nitroglycérine, William Friedkin était animé par une volonté de tout dynamiter. De renier les maîtres et de choquer les spectateurs. Pour un homme qui affirmait ne pas aimer la violence, ses vingt films offrent un nombre impressionnant de déferlements de brutalité. Mais raconter la vie du réalisateur américain, c’est surtout énumérer les règles auxquelles il ne s’est pas plié.

Son premier doc, The People vs Paul Crump (1962), était consacré à un détenu condamné à mort. Friedkin, persuadé de son innocence, le filme et le sauve : la peine de Crump est commuée en prison à vie. "Paul a eu sa liberté, j’ai eu ma carrière", écrira-t-il ensuite, en précisant avoir peut-être giflé Paul, pour obtenir plus d’émotion. Friedkin n’est encore qu’assistant à la télévision mais fait déjà montre d’une envie de réel et d’immersion qui le suivra toute sa vie. Il flirte souvent avec le monde du crime en façonnant ses films ; il joue même au flic, suivant dans leur patrouille Eddie Egan et Sonny Grosso, les policiers dont sont inspirés les personnages de French Connection pendant sa préproduction.

Attiré par la pègre et les bas-fonds

Son cinquième film et premier grand succès commercial décortique le fonctionnement d’une filière d’héroïne entre le sud de la France et les États-Unis. Pour le tournage, Friedkin prend quelques largesses avec la loi, ne demande pas d’autorisations et filme la redoutable course-poursuite en voiture en direct. À 130 kilomètres / heure dans les rues de New York et sans prévenir personne. Ses équipes racontent des tournages sur la brèche, improvisés, où l’on mettait la caméra en marche dans l’urgence. Sur le plateau de French Connection, le cinéaste harcèle Gene Hackman pour "l’endurcir" et le faire jouer comme il le voulait : l’acteur n’était pas son premier choix. Il tire des coups de carabine sur les plateaux pour surprendre ses interprètes, mais "seulement avec des balles à blanc". Selon lui.

En 1973, le long métrage suivant, L’Exorciste, est un succès public encore plus grand. Mais pas question de se compromettre pour autant : des grands studios qu’il adorait détester, « Billy » Friedkin est resté indépendant jusqu’au bout. Une suite ? Certainement pas. Un remake, encore moins. Les deux existeront pourtant sans lui. « Je n’ai aucune raison de refaire mes films et je n’ai jamais fait du cinéma pour l’argent », assénait-il à Télérama. Il avait, par contre, fait de l’argent avec du cinéma. Avec deux immenses succès au box-office, French Connection (71 millions de dollars) puis L’Exorciste (plus de 193 millions rien qu’aux États-Unis). Et, plus littéralement encore, avec la fausse monnaie de Police fédérale, Los Angeles (1986), qu’il se vante d’avoir écoulée au restaurant après le tournage.

William Friedkin en 2015

William Friedkin en 2015

Des faux billets plus vrais que nature, confectionnés de la main experte de Rick Masters – l’antagoniste du film, Willem Dafoe, terrifiant dans l’un de ses premiers rôles. La séquence qui ouvre To Live and Die in L.A. (le titre original) impressionne par sa précision. Et pour cause, Friedkin suivait les recommandations d’un vrai faux-monnayeur, sorti de prison pour l’occasion.

Attiré par la pègre et les bas-fonds, inspiré par son oncle, qu’il dépeint à l’envi en flic ripou de Chicago, Friedkin aimait raconter des histoires. Chaque documentaire, chaque nouvelle interview ou masterclass vient avec son lot d’anecdotes. Son autobiographie a d’ailleurs pour sous-titre Mémoires d’un cinéaste de légende en France – légende que l’on mettrait volontiers au pluriel. "Billy le Dingue" s’y vante d’avoir été viré plusieurs fois de ses films par les producteurs et revient par le menu sur ses tournages chaotiques.

William Friedkin aux Oscars de 1972

Aux Oscars de 1972, Gene Hackman (2ème à G), le producteur Philip D'Antoni (à G) et William Friedkin sont récompensés pour "The French Connection". Jane Fonda était récompensée pour "Klute"

Dont un en particulier, celui de Sorcerer, vrai-faux remake du Salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot. Deux camions dans la jungle sous la pluie, un pont de cordes et des caisses de nitroglycérine. Un tournage explosif. Friedkin souffre de l’obsession du réalisme : il brûle sans compter les millions de dollars d’Universal et de Paramount et fait construire intégralement les décors en République dominicaine puis au Mexique. Seule la pluie est fausse. Le réalisateur en revient amaigri et malade. Avec un grand film incompris, malade lui aussi, comme La Porte du paradis ou Apocalypse Now à la même période, autres tournages fitzcarraldesques. Un film… éclipsé au box-office par le premier opus de Star Wars, qui sort deux semaines plus tard.

Sorcerer, c’est le nom d’un des deux camions du Convoi de la peur (son titre français), inspiré par le titre d’un disque de Miles Davis. Des maîtres spirituels, Friedkin en avait beaucoup, prétendait toujours s’en détacher. Rembrandt, Malher, Ravel, Debussy ; en musique et en peinture, les grands demeurent pour lui inégalés. Côté cinéma, on le sent moins radical. Sale gosse du Nouvel Hollywood, animé par la volonté d’exploser les carcans, le réalisateur cite peu d’influences. Préfère démentir celle de son ex (et temporaire) beau-père Howard Hawks. Et retient surtout d’une rencontre avec Hitchcock sur le tournage d’un épisode d’Alfred Hitchcock présente que celui-ci lui aurait reproché de ne pas porter de cravate.

On le croyait égaré après Police fédérale : Los Angeles. Dans les années 1980 et 1990, il enchaîne une série de films mineurs et plutôt mauvais. Mais Friedkin met en scène des opéras à la fin du millénaire, puis ressurgit au cinéma en 2006 avec la surprise Bug. Un thriller psychologique où Michael Shannon se croit dévoré par des insectes. Il enchaîne en 2011 avec un autre film superbement violent et vicieux, Killer Joe. Depuis, Friedkin travaillait sur The Caine Mutiny Court-Martial, qui sera présenté hors compétition à la Mostra de Venise en septembre. Après les thrillers absolus, le film d’horreur et le film d’aventures absolus, un film de procès, "le" genre américain par excellence, celui qui manquait encore à sa filmographie. Histoire de compléter une œuvre habitée par une violence tout américaine, traversée par des personnages en conflit avec eux-mêmes. Toujours enfermés. Dans une jungle, un huis clos littéral. Ou dans leur propre condition.

Augustin Pietron-Locatelli pour Télérama (07/08/2023 [archive])

 

 

 

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