• Les mercenaires d’aujourd’hui

    Boulevard Voltaire 04 juin 2023 [archive]

    Il n’est pas de jour où l’on n’évoque pas les mercenaires de la société militaire privée russe Wagner et son sulfureux chef Evgueni Prigojine, le cuisinier du Kremlin devenu aujourd’hui un milliardaire parmi d’autres en Russie. De nos jours, les mercenaires ont mauvaise presse et symbolisent des guerres injustes où seuls des combattants de fortune acceptent de risquer leur vie, là où des gouvernements refusent d’engager leurs soldats réguliers.

    Sous l'Antiquité, durant les guerres puniques, les Carthaginois avaient systématiquement recours à des mercenaires, ce qui leur évitait de sacrifier leurs fils. Hannibal vainquit les Romains avec des mercenaires gaulois, ibères et numides. Les frondeurs baléares étaient des guerriers redoutables par la précision de leur jet, causant de nombreuses pertes parmi les chefs romains identifiés comme tels au début de la bataille. Au Moyen Âge, les rois de France embauchèrent dans leurs armées des mercenaires génois qui étaient avant tout des techniciens de larbalète, une arme complexe dont le carreau pouvait percer mieux que la flèche du Longbow[1] anglais les cuirasses des chevaliers. L’artillerie des frères Bureau [archive] était, elle aussi, privatisée et permit aux rois de France de l’emporter sur les Anglais à la fin de la guerre de Cent Ans.

    La professionnalisation des armées européennes à l’époque moderne puis la levée en masse des citoyens et des sujets signèrent la fin des grandes armées de mercenaires partout sauf dans les "petites guerres" menées outre-mer. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Européens dédaignant de mourir pour leur patrie dans des terres lointaines firent souvent appel à des étrangers pour défendre leurs intérêts dans les guerres de décolonisation. La Légion Étrangère créée par le roi Louis-Philippe après la saignée des guerres napoléoniennes fait exception. On ne peut, en effet, qualifier de mercenaires les légionnaires qui acceptent de devenir "Français par le sang versé" pour une solde ordinaire. Les légionnaires d’origines germanique et italienne recrutés dans les camps de prisonniers à la fin du second conflit mondial pour combattre dans les rizières d’Indochine ne peuvent être qualifiés de mercenaires, car commandés par des officiers français et engagés sous l’uniforme français et sous les emblèmes nationaux de l’armée française. Cette tradition des régiments étrangers au service de la France, de l’Espagne ou d’autres nations européennes remonte d'ailleurs aux temps immémoriaux de l’internationalisation des conflits et de la professionnalisation progressive de la guerre devenue trop complexe pour n’être confiée qu’à des "Marie-Louise"[2] sans expérience.

    Jusqu’à aujourd’hui, les gouvernements avaient l’habitude d’utiliser des sociétés militaires privées (SMP) pour réaliser des "mauvais coups" sans que leurs responsabilités ne fussent identifiées. Ces opérations, souvent sous les tropiques, visant à soutenir des potentats locaux n’engageaient des mercenaires que pour mieux masquer leurs vrais commanditaires. Par ailleurs, les Américains ont aussi pris l’habitude d’utiliser ces sociétés en complément de leurs propres forces armées en Irak ou ailleurs pour des missions de soutien dans tous les domaines : logistique, systèmes d’information et de communication et même renseignement, où ces mercenaires sont même allés jusqu’à interroger de manière brutale les prisonniers et présumés terroristes.

    Les États peuvent-ils être tenus pour responsables de ce que font ces sociétés employées par eux-mêmes dans des missions parfois hors de contrôle ? Si c’était le cas, on pourrait alors poursuivre les États-Unis pour les dérapages incontrôlés de la firme Blackwater en Irak ou en Afghanistan notamment. Ou cela ne regarde-t-il que la compagnie en question ? Cette question concerne aussi la firme Wagner, en Ukraine ou en Afrique. Les mercenaires de Wagner sont considérés par l’Assemblée nationale française et l’Union européenne comme appartenant à une "association terroriste", et ce, depuis le 9 mai dernier [2023]. Un terroriste ne saurait donc pas être considéré comme étant un combattant justiciable du droit de la guerre, ni comme un militaire, bien sûr, même s’il porte un uniforme.

    Wagner est une entreprise multinationale dont le siège est à Saint-Pétersbourg et cette entreprise soutient les intérêts de la Russie en Afrique notamment, faisant échec dernièrement aux armées françaises engagées au Sahel. Donc, il n’est aucun mystère des liens étroits entre cette société militaire privée et le Kremlin. S’ils ont combattu en Ukraine, notamment à Bakhmout, les mercenaires de Wagner ne sauraient être confondus avec les militaires de l’armée russe. Ces mercenaires capturés par l’armée ukrainienne pourraient d'ailleurs être traités comme des terroristes et, donc, non protégés par le droit de la guerre *.

    * Ce serait dommage, parce que c’est, en partie, grâce à eux que la dénazification de l’Ukraine se fait, et que les russophones et/ou russophiles, dont une multitude d’enfants, sont sauvés des griffes des terroristes amoureux de S. Bandera ! (Tara)

    [1] Longbow. Arc long anglais qui permit de vaincre les Français notamment à Azincourt.
    [2] "Marie-Louise". Soldats très jeunes embrigadés à la fin du Premier Empire en 1814 et 1815.

    Article de Hamilcar

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    Voir aussi Ninja et Shinobi

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    Documentation

    — Légion étrangère :

    Blaise Cendrars 1887-1961

    Guerre d’Indochine (1946-1954)

    Paroles d'un jeune engagé | Légion Étrangère (Légions)

    — Un livre : Ukraine : la Guerre des images [archive] - #michelcollon

    Une conférence sur YT (22/05/2023) :

    https://www.youtube.com/watch?v=2YWlIdpGE48 (Café marxiste)

    Michel Collon est journaliste indépendant et essayiste belge. Il s'est notamment fait connaître en analysant la propagande de guerre au cours de la 1ère Guerre du Golfe puis de la guerre en Yougoslavie dans les années 1990. En 2004, il fonde le collectif Investig’Action, média alternatif spécialisé dans l’analyse de la propagande de guerre et des stratégies de désinformation. Investig’Action c’est :

    un journal en ligne entièrement gratuit : https://www.investigaction.net/fr/

    une chaîne YouTube avec des chroniques et interviews : @michelcollon

    une maison d’édition : https://boutique.investigaction.net/fr/

     

     

     

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