• ☼ Benoît Duteurtre 1960-2024

    Le romancier et chroniqueur de radio Benoît Duteurtre est décédé d’une crise cardiaque le 16 juillet, à l'âge de 64 ans.

    La ministre de la Culture (Rachida Dati) a salué « une personnalité lumineuse, d’un humour sans pareil. »

    Benoît Duteurtre DC 16 07 2024.png

    Causeur 18 juillet 2024 [archive]

    Boulevard Voltaire 18 juillet 2024 [archive]

    À seulement 64 ans, Benoît Duteurtre nous a évidemment quittés trop tôt, d’une crise cardiaque survenue chez lui, au Valtin, sa thébaïde vosgienne.

    Dans une république des Lettres, souvent faite de coteries et de faux-semblants, le défunt n’avait jamais triché. D’ailleurs, Guy Debord, fondateur de l’Internationale situationniste et contempteur de la société du spectacle, ne s’y était pas trompé, lui assurant, à propos d’un de ses essais, Tout doit disparaître (Gallimard 2003) :

    « Il vous a suffi de voir le même siècle et sa sorte d’art, vous l’avez ressenti justement. »

    Voilà qui vaut tous les honneurs, toutes les décorations.

    D’ailleurs, jamais Benoît Duteurtre n’aura été dupe. Tout d’abord parce qu’il demeura toujours enraciné en son terroir et fidèle à ses aïeux : son grand-père, le député gaulliste Maurice Georges, côté paternel, et son arrière-grand-père, René Coty, le dernier président de la IVe république, pour ce qui est du canal maternel. Ce qui ne l’empêche pas, jeune provincial désireux de conquérir Paris, d’y mener grande vie.

    L’un de ses premiers parrains n’est autre qu’un certain Samuel Beckett.

    Adoubé par Philippe Muray et Michel Déon, l’écrivain Sébastien Lapaque note, dans Le Figaro :

    « Milan Kundera admirait son sens aigu du réel, Philippe Muray jalousait son art d’être dans le monde sans rien céder au monde et Michel Déon louait le regard froid qu’il posait sur son siècle. »

    C’est là que réside peut-être toute l’élégance du personnage. D’un côté, il commence des études de musicologie à l’université de Rouen, tenant alors Pierre Boulez pour un maître, tels d’autres artistes d’avant-garde, Karlheinz Stockausen et Iannis Xenakis. Ce qui ne l’empêche pas, en 1995, de publier le pamphlet Requiem pour une avant-garde (Les Belles Lettres 1995) à l’occasion duquel il condamne l’officialisation de cette dernière, hissée au rang "d’art officiel".

    Auteur d’essais iconoclastes (comme Requiem pour une avant-garde) et de romans (La Rebelle), Benoît Duteurtre avait naguère signé Chemins de fer, un récit aux allures de pamphlet, dont le thème principal était le démantèlement de la SNCF, service public converti de force aux dogmes de la flexibilité et du profit, pour lequel il n’y a plus ni usagers ni voyageurs, mais des clients.

    Duteurtre disait bien, et avec humour, comment l’ancienne civilisation paysanne et industrielle, celle des fermes, des gares et des écoles où l’on apprend, disparaît, rayée de la carte par un système high tech, celui des "espaces propreté", des bases TGV pareilles à des stations orbitales et des 4×4 pour néo-ruraux. Avec lucidité, il décrivait la disparition des restes de l’ancien monde et l’avènement d’un tiers-monde délabré, souillé (tags et autocollants en volapük), à l’apartheid impitoyable. L’utopie rose bonbon d’une société paresseuse et libertaire cède la place à une réalité moins champêtre : une "économie d’escroquerie" justifiant les nouvelles servitudes au nom de l’idéologie du mouvement à tout prix.

    Il récidivait tout récemment avec Le Grand Rafraîchissement, un amusant roman satirique sur notre postmodernité, et qui, à la suite de son décès aussi brutal que prématuré devient une sorte de testament. Pince-sans-rire, Duteurtre imaginait que, après des années de canicules torrides censées faire payer à l’Occident un impardonnable péché d’orgueil, les températures repartent à la baisse. Nié dans un premier temps par les "experts", ce phénomène crée, par effet domino, toute une série de marches arrière.

    Accusé de "révisionnisme"

    Pour avoir ainsi blasphémé, Le Monde l’accuse de "révisionnisme", allant jusqu’à le comparer à Robert Faurisson ; à croire que le fameux quotidien vespéral ait pu confondre "chambres à gaz" et "musique de chambre".

    Benoît Duteurtre fera sévèrement condamner l’organe de la gauche institutionnelle. Ce d’autant plus que des titres tels que Le Point, Le Monde de la musique et l’International Herald Tribune volent illico à son secours. Dès lors, plus rien ne l’arrêtera. Dans l’hebdomadaire Marianne, il dénonce ensuite :

    « l’immense entreprise de crétinisation s’étant abattue sur les théâtres lyriques »,

    allant même jusqu’à renverser la table en affirmant :

    « Wagner en tee-shirt, Mozart sur un parking ou Verdi dans un hôpital psychiatrique… Le discours est toujours le même : le metteur en scène s’imagine rendre lisible une œuvre trop compliquée pour le spectateur. Pis encore, ces hommes de théâtre qui dénaturent les œuvres ont répandu l’idée qu’il s’agirait de l’expression même de la modernité et que de ne pas suivre leurs coûteuses élucubrations serait simplement réactionnaire. »

    En même temps, il se passionne pour d’autres formes de musiques plus populaires, comme l’opérette dont il devient tôt l’un des spécialistes incontestés, tel qu’en témoigne son émission de référence, Étonnez-moi Benoît, diffusée chaque samedi sur France Musique, dont le titre fait référence à une chanson de Françoise Hardy au texte écrit par Patrick Modiano.

    Bref, ce ludion incasable n’entend entrer dans aucune case ; et surtout pas celles dictées par l’air du temps.

    Homosexuel "à l’ancienne"

    Homosexuel revendiqué, il n’hésite pas à affirmer :

    « L’hétérosexualité constitue bel et bien la norme et l’homosexualité est un écart, quoi que dise la propagande désireuse d’entretenir une équivalence entre tout et son contraire. »

    Et, histoire d’arranger son cas, il persiste et signe, en pleine polémique sur le mariage homosexuel :

    « Certains gays en mal d’enfants, poussés par la fumeuse "théorie du genre", voient dans le mariage une reconnaissance de leur sexualité minoritaire. »

    Dans le même registre, Benoît Duteurtre n’aura de cesse de dénoncer les travers d’une société finissante, même si peinturlurée aux couleurs du progressisme. Le summum est atteint dans La petite fille et la cigarette (Gallimard 2007), essai à l’occasion duquel on voit des autorités ne sachant plus très bien si elles doivent ou non accorder une ultime cibiche à un condamné à mort, promis à passer sur la chaise électrique. Entre humanisme et hygiénisme, que choisir ? Contradictions de notre temps qu’il aimait tant à pointer avec toujours le même humour distancié…

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    L'écrivain Benoît Duteurtre © Hannah Assouline

    Non sans courage, notre homme s’attaquait, mine de rien, aux dogmes du "vivre ensemble". Subtil, parfois hilarant, Et pour le reste, il demeurait attaché à ses chères Vosges et surtout à ces vaches en embellissant le paysage. C’est d’ailleurs là-bas qu’il a rendu le dernier souffle.

    La Providence fait parfois bien les choses.

    Benoît Duteurtre usait d’un style limpide pour décrire un monde qui marche sur la tête.

    Que la terre lui soit légère !

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    Internautes

    Je suis attristé (j’ai connu son père avant lui, au Havre); avec lui nous perdons un romancier très décomplexé et drôle. (B45)

    Nous sommes très tristes Nous n’attendrons plus cette voix chaude et entousiaste le Samedi matin à 11:00 précises. Tu nous as étonné Benoît, et plus même, tu nous as fait voyager dans le temps et la musique de toujours. Ta rigueur, tes connaissances sans limites et la gentillesse avec laquelle tu recevais également les vedettes du présent mais aussi les anciens qui tout d’un coup resplendissaient à nouveau à ton micro et enfin les oubliés que tu savais faire revivre à travers leurs descendants ou amis. L’Opéra Comique est aussi en deuil ; tu as tant fait pour la chanson et la musique française, quelle quelle soit pourvu qu’elle soit bonne. Tu nous manqueras ; nous t’aimions. (PJ)

    J'ai adoré Le retour du Général. J’ai aussi beaucoup aimé En marche, paru en 2020, dans lequel il manie férocement l’ironie à propos du sauvetage de la planète, au travers d’un voyage en "Rugénie", pays réformé et devenu le meilleur des mondes… Beaucoup d’humour et de finesse chez cet écrivain talentueux, dont j’ai beaucoup apprécié Les dents de la maire, souffrances d’un piéton de Paris (très en phase avec ce Paris actuellement bouleversé) qui n’aura pas la douleur de vivre ces derniers jours de chienlit parisienne ! Le meilleurs hommage à lui faire est de le lire, notamment cet ouvrage. (des internautes)

    Un homme intelligent, une belle plume, avec un regard non pas nostalgique mais empreint de tendresse sur une France qui se dissout. Benoît Duteurtre n’est plus. Requiescat in Pace. (DSG)

     

     

     

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