• ⊗ L'esprit et la lettre

    Quelques pistes pour réfléchir sur "l'Esprit et la Lettre"

     

    L'esprit et la lettre de la loi

    Thomas d'Aquin, Somme théologique, 1266-1273

    Parce que les actes humains pour lesquels on établit des lois consistent en des cas singuliers et contingents, variables à l’infini, il a toujours été impossible d’instituer une règle légale qui ne serait jamais en défaut. Mais les législateurs, attentifs à ce qui se produit le plus souvent, ont établi des lois en ce sens. Cependant, en certains cas, les observer va contre l’égalité de la justice, et contre le bien commun, visés par la loi. Ainsi, la loi statue que les dépôts doivent être rendus, parce que cela est juste dans la plupart des cas. Il arrive pourtant parfois que ce soit dangereux, par exemple si un fou a mis une épée en dépôt et la réclame pendant une crise, ou encore si quelqu’un réclame une somme qui lui permettra de combattre sa patrie. En ces cas et d’autres semblables, le mal serait de suivre la loi établie ; le bien est, en négligeant la lettre de la loi, d’obéir aux exigences de la justice et du bien public. C’est à cela que sert l’équité. Aussi est-il clair que l’équité est une vertu.

    L’équité ne se détourne pas purement et simplement de ce qui est juste, mais de la justice déterminée par la loi. Et même, quand il le faut, elle ne s’oppose pas à la sévérité qui est fidèle à l’exigence de la loi; ce qui est condamnable, c’est de suivre la loi à la lettre quand il ne le faut pas. Aussi est-il dit dans le Code* : « Il n’y a pas de doute qu’on pèche contre la loi si, en s’attachant à sa lettre, on contredit la volonté du législateur ». Il juge de la loi celui qui dit qu’elle est mal faite. Mais celui qui dit que dans tel cas il ne faut pas suivre la loi à la lettre, ne juge pas de la loi, mais d’un cas déterminé qui se présente.

    * Il s’agit du Code publié par Justinien en 529 : il contient la plus grande somme connue de droit romain antique.

     Ma Philosophie

    Augustin, de l'esprit et de la lettre

    Œuvres complètes de saint Augustin, sous la direction de M. Raulx, tome XVIIe, p. 147à 184, Bar-le-Duc 1871.

    Dans son Traité des Mérites et de la Rémission des péchés, saint Augustin avait dit que, par la puissance de Dieu, l'homme peut être exempt de péché, mais il avait nié que personne, dans cette vie, à l'exception de Jésus-Christ, eût été ou dût être sans péché. Marcellin, étonné qu'on pût croire possible une chose sans exemple, en écrivit à Augustin, qui lui répondit par le livre De l'Esprit et de la Lettre. Le saint docteur ne considérait pas comme une très-grave aberration de penser que des hommes aient vécu sans souillure ; il lui paraîtrait plus coupable de soutenir que la seule volonté humaine, sans l'assistance divine, puisse s'élever à la perfection de la justice. Commentant les paroles de l'Apôtre : "La lettre tue et l'esprit vivifie", Augustin entend par "la lettre", non pas les cérémonies judaïques abolies par l'avènement du Sauveur, mais les préceptes mêmes du Décalogue, quand l'Esprit divin ne verse pas dans l'âme la force et l'amour. Il distingue la loi des œuvres et la loi de la foi ; l'une prescrit, l'autre donne la force ; la première est toute judaïque, la seconde est toute chrétienne.

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    Clerus

    Documentation. Le jeu de paume est attesté vers l'an 350 dans Les Confessions d'Augustin d'Hippone (p.367).

     

    La lettre et l'esprit

    Par Jacques Fauvet, publié le 27 avril 1964

    La cause est entendue, en dépit du dialogue de sourds qui, pour un jour, a ranimé vendredi la vie parlementaire.

    Une Constitution peut s'apprécier et s'appliquer selon la lettre ou selon l'esprit. La lettre de la Constitution française était et demeure celle d'un régime parlementaire équilibré, où le pouvoir exécutif doit procéder du Parlement ; l'esprit de la conception gaulliste est celui d'un régime présidentiel plus ou moins équilibré, où le pouvoir exécutif procède du chef de l’État. Les circonstances et les hommes ont voulu que l'esprit l'emporte de plus en plus sur la lettre. C'est la "Constitution de Bayeux" définie dès 1946 qui a été appliquée au travers des textes ratifiés en 1958 ; la réforme de 1962 n'est venue que pour donner au successeur le poids que sa personnalité donne au général de Gaulle. La cause est entendue.

    Même si son caractère ne le réduit pas à l'état de simple exécutant, le premier ministre ne peut évidemment se maintenir que s'il jouit de la confiance du chef de l’État. Ayant fini par l'excéder, M. Debré dut se retirer en 1962 ; il ne se retourna pas alors vers l'Assemblée, il remit sa démission au général de Gaulle. Et lorsque la même année M. Pompidou eut à soutenir une procédure insoutenable, ce n'est pas le général qui le remercia. C'est l'Assemblée qui le renversa. La lettre exige que le premier ministre soit responsable devant le Parlement ; l'esprit suppose qu'il l'est aussi devant le président de la République. La cause est entendue.

    Le "domaine réservé" n'existerait pas, dit-on, parce que, sauf de rares exceptions, le président de la République a besoin non seulement du consentement mais du contreseing du premier ministre. Sans doute pour "la conduite de la politique de la nation" comme le dit l'article 20. Mais qu'en a-t-il été, qu'en est-il de sa "détermination" comme le requiert aussi la même disposition de la même Constitution ? Qu'en serait-il si le futur chef de l’État, ayant fait approuver une politique par le pays, ne pouvait trouver de majorité et donc de premier ministre pour l'appliquer à l'Assemblée ? Non seulement le régime n'est pas couvert contre ce genre de conflit - inimaginable sous le règne du général, mais concevable après lui - mais le risque en est aggravé depuis que le chef de l’État étant élu au suffrage universel on s'est refusé à harmoniser la durée de ses pouvoirs et colle du mandat de l'Assemblée. La cause, là aussi, est entendue. [...]

    Le Monde

     

     

     

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