• ☼ Giscard d'Estaing 1926-2020

    Valéry Giscard d'Estaing

    1926 - mercredi 02 décembre 2020 (dans sa 95e année)

    Giscard fenêtre

    L'ancien président de la République Valéry Giscard d'Estaing (ou VGE comment beaucoup l’appelaient) s'est éteint ce mercredi 2 décembre, "entouré de sa famille" dans sa propriété d'Authon dans le Loir-et-Cher, d'après une information de l'AFP. Âgé de 94 ans, il avait été hospitalisé plusieurs fois ces derniers mois pour des problèmes cardiaques. (Télé-Loisirs [archive sans media])

    Rien ne fut ordinaire dans sa vie de Valéry René Marie Georges, "né sous Gaston Doumergue, mort sous Macron" (Boulevard Voltaire)

    Il porta un nom à particule – hérité d’un relèvement – sans titre de noblesse : Edmond, son père, qui se piquait de noblesse, avait obtenu, en 1923, un décret du Conseil d’État l’autorisant à ajouter à son patronyme le nom d’une trisaïeule.

    Il fut élu Président à 48 ans, à une époque où seul le grand âge semblait valider les hommes politiques. Il fut résolument moderniste, tout en vouvoyant son épouse et en pratiquant le baise-main.

    Jean-Marie Le Pen évoque des souvenirs communs et une certaine nostalgie de cette époque [archive sans media]

    Giscard à Estaing, le retour aux sources d'un ancien président

    Giscard et château d'Estaing

    En 2005, Valéry Giscard d'Estaing, son frère Olivier et leur cousin Philippe achète le château d'Estaing à la commune homonyme.© Georges GOBET / AFP

    L'ancien président de la République s'est implanté dans le Rouergue en 2005 avec le rachat du château du village d'Estaing. Signe de la fin de sa carrière politique, et d'un retour sur la terre de ses ancêtres originaires des environs. (Suite France 3 Occitanie)

    Chaque année, pour les Journées du Patrimoine, le châtelain faisait la visite en personne aux visiteurs.

    Bilan politique de Giscard

    La disparition du troisième président de la Ve République est un événement à deux faces. La mort d’un homme qui a joué un rôle important dans l’histoire de notre pays, un homme dont la dignité personnelle et l’intégrité morale étaient à la hauteur de la fonction malgré les attaques d’une rare bassesse qui ont cherché à l’atteindre, un homme qui avait une famille et des amis dont il faut saluer aujourd’hui la douleur, cette mort mérite le plus grand respect.

    Une particularité historique de Valéry Giscard d’Estaing qu’il est bon de noter tant elle est rare : cet homme a été élu à toutes les élections auxquelles il s’est présenté ! (sauf la présidentielle de 1981, évidemment, et l’élection municipale à Clermont-Ferrand en 1995 où il échoua à faire tomber la gauche socialo-communiste) Élections législatives (11 fois candidat, 11 fois élu), cantonales (3 fois candidat, 3 fois élu), municipales (1 fois candidat, 1 fois élu maire de Chamalières), régionales en Auvergne (3 fois candidat, 3 fois élu), européennes (1 fois candidat, 1 fois élu) et, enfin, l’Académie française (1 fois candidat, 1 fois élu !). 

    Ce palmarès rarissime montre un aspect de sa personnalité qu’on a trop vite voulu oublier (à gauche parce qu’on le trouvait ringard, à droite parce qu’on lui reprochait le regroupement familial et l’avortement)

    La lettre patriote

    Giscard main

    Son slogan  : "Le changement dans la continuité"

    Réformiste, moderne, libéral, européen, brillant, visionnaire… les superlatifs pleuvent : dans une unanimité confondante, médias et hommes politiques rendent, aujourd’hui, un hommage appuyé à Valéry Giscard d’Estaing. Certes, il est de bon ton de ne pas dire du mal des morts. Mais c’est néanmoins une forme de respect et de justice à rendre à celui qui voulait faire entrer la France "dans une nouvelle ère", par un "changement dans la continuité", que de dresser un bilan de son action à la tête du pays. (Boulevard Voltaire)

    Valéry Giscard d’Estaing était un homme politique. Il est donc nécessaire de formuler un jugement sur le bilan de son action, et celui-ci ne peut être que sévère. Le troisième président est la première marche de la descente aux enfers de notre pays. Son mandat présente déjà tous les symptômes de la gouvernance suicidaire que subit la France depuis 1974. (Boulevard Voltaire [archive])

    Son grand regret : le "regroupement familial"

    Extraits du livre de son biographe Éric Roussel.

    “Son grand regret, le regroupement familial, décidé par un simple décret de Jacques Chirac en 1976. (…) L’idée de faire venir les familles des immigrés paraissait, à l’époque, naturelle. Avec l’augmentation massive de l’immigration en provenance de pays musulmans, elle divise profondément. Raymond Barre, d’ailleurs, le suspendit pour trois ans, avant que le Conseil d’État annule cette décision au motif que le regroupement familial faisait désormais partie de principes généraux du droit.

    Avec le recul, Valéry Giscard d’Estaing regrette cette initiative : "L’idée en soi était juste et généreuse (…) Mais elle a été mal appliquée, et j’ai eu le tort de ne pas plus surveiller l’application ; j’en ai donc la responsabilité (…) Nous visions le noyau familial tel que nous le connaissons et nous avons vu arriver des noyaux familiaux totalement différents."

    Nos confrères du Point rappellent que dans son essai, Le sens de la République, l’historien Patrick Weil a aussi révélé que le président avait eu le projet de dénoncer les Accords d’Évian pour pouvoir rapatrier quelque 500 000 Algériens en cinq ans.

    La Lettre Patriote

    "La France rejette en grande partie l'héritage de Giscard aujourd'hui"

    Élisabeth Lévy estime que VGE est en quelque sorte l’ancêtre de notre startup nation. Mais elle estime surtout que la France rejette en grande partie l’héritage de Giscard aujourd’hui.

    « Giscard, c’est aussi le président de nos derniers jours heureux. Pour ce qui est du politique, il incarne la droite libérale, orléaniste, anti-gaulliste. On ne parlait pas encore de mondialisation heureuse mais dans le fond, il est un peu l’ancêtre de la start-up nation. La plus grande critique que je ferai à Valéry Giscard d’Estaing, c’est son européisme, la chimère supranationale. L’idée du couple avec l’Allemagne me paraît aussi être une faribole, car c’est en réalité le rapport de force qui décide, pas l’amour. Je m’étais laissée entendre qu’il avait dit en 2005, après le "Non" au référendum : "Ce n’est pas grave, on fera voter les Français jusqu’à ce qu’ils disent oui". C’est un homme d’une grande intelligence, un lecteur incroyable, mais aujourd’hui la France rejette en grande partie l’héritage giscardien : la mondialisation heureuse, les frontières ouvertes, et je ne vous parle même pas du regroupement familial ! »

    [https://www.youtube.com/watch?v=VXIAc8n0Cg0] YouTube 03/12/2020

    Durant son septennat, VGE est à l’origine de plusieurs réformes très importantes. Partisan d’une "société libérale avancée", il fait voter l’abaissement de la majorité civile et électorale à 18 ans, l’autorisation du divorce par consentement mutuel, et surtout la dépénalisation de l’avortement préparée par Simone Veil, alors ministre de la Santé. Très engagé dans des causes "féminines", il ira jusqu’à créer un secrétariat d’État à la condition féminine où il nommera la journaliste Françoise Giroud. (Télé-Loisirs)

    À y regarder de plus près, ce ne sont pas tant ces réformes sociétales qui lui vaudront le jugement de l’Histoire. Même si, soit dit en passant, "ces avancées" ont inauguré la déportation à gauche d’un électorat bourgeois de droite, en lui imposant un progressisme qui ne lui était pas originel et alignant ainsi la France sur les tout nouveaux canons éthiques de Mai 68.

    Non, s’il est une réforme dont les conséquences se mesurent encore aujourd’hui dans la société française, c’est bien le décret du 29 avril 1976 instaurant la mise en place du regroupement familial, qui signa le début de l’immigration de masse. Depuis lors, un étranger non européen titulaire d’une carte de séjour peut faire venir sa famille en France sous conditions de ressources et de logement.

    Ce simple décret constitue un tournant historique majeur dans l’histoire de notre pays : il a contribué à bouleverser le visage de la société française, il en fait aujourd’hui vaciller le socle. (Suite dans Boulevard Voltaire)

    « Les enseignements de langue et de culture d’origine (Elco) sont nés sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, en application d’une directive du Conseil des communautés européennes adoptée en 1977 et portant sur la scolarisation des enfants des travailleurs étrangers. Proposés sur la base du volontariat aux familles, cet enseignement des langues maternelles des parents fut créé pour que les enfants issus de l’immigration italienne, portugaise, espagnole, yougoslave, maghrébine et turque restent en lien étroit avec la culture d’origine de leurs pères et mères. À l’époque, on pensait en effet ces familles destinées à "rentrer au pays" à plus ou moins longue échéance.

    À partir des années 1980, les Elco changèrent de sens et devinrent un outil explicite de non-intégration à la culture française.

    Mais comment comprendre le maintien de ces enseignements quand il devint évident que ces travailleurs étrangers et leurs enfants resteraient en France ?

    [...] au lieu de les supprimer compte tenu des dérives communautaristes des Elco arabe et turc, Najat Vallaud-Belkacem les rebaptisa enseignements internationaux de langues étrangères (Eile) et décida de les généraliser – et en premier lieu l’arabe – dès le primaire. Changer les mots sans toucher à l’esprit est un des tours de passe-passe dont use et abuse l’Éducation nationale avec les acronymes. [...]

    Que ceux qui parlent sans cesse d’"inclusion" le veuillent ou non, la France reste un pays de tradition assimilationniste. Partout en Europe, le réveil des peuples souverains est le signe d’un besoin d’enracinement autant que de cette tradition assimilationniste, lointain héritage de Rome. Rappelons-nous cet adage de grande portée : "À Rome, fais comme les Romains" »

    Lu dans Réflexions de 2018 T3 09-sept.

    Documentation d'Hérodote

    Le président de la révolution des mœurs

    Le dimanche 19 mai 1974, Valéry Giscard d'Estaing (48 ans) devient le troisième président de la Ve République en réunissant sur son nom les électeurs de droite et du centre. [...]

    Des réformes tambour battant :

    – 3 juillet 1974 : désireux de lutter contre la montée brutale du chômage à l'issue du premier choc pétrolier, le gouvernement croit utile de suspendre l'entrée de travailleurs étrangers ; cette politique de « préférence nationale » dans l'emploi sera plus tard complétée par un encouragement à l'immigration familiale (décret du 29 avril 1976), avec des effets pervers notables.

    – 5 juillet 1974 : la majorité civique, qui était fixée à 21 ans depuis 1848, est abaissée à 18 ans ; en ouvrant le droit de vote à 2,5 millions de jeunes majoritairement portés à gauche, le président signe sa défaite sept ans plus tard.

    – 7 août 1974 : l'ORTF (monopole public de la radio et de la télévision) est démantelée et donne naissance à sept chaînes concurrentes ; c'est un premier pas vers l'indépendance des médias audiovisuels.

    – 14 octobre 1974 : indemnisation des chômeurs licenciés économiques sur la base de 90% de leur dernier salaire pendant un an (cette mesure trop généreuse va s'avérer inadaptée à la crise économique mondiale qui vient d'éclater et sera rapidement abrogée).

    – 21 octobre 1974 : création du « droit de saisine » avec la possibilité pour 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel (cette révision de la Constitution va se révéler à l'usage d'une grande importance).

    – 26 octobre 1974 : la loi Neuwirth de 1967, qui autorisait la contraception féminine (la « pilule »), est complétée par une nouvelle loi qui prévoit le remboursement de la contraception par la Sécurité sociale ; les mineures peuvent aussi prendre la pilule sans l'autorisation de leurs parents.

    – 28 novembre 1974 : vote de la loi Veil au terme d'un débat parlementaire houleux et avec le concours des députés de gauche. Cette loi qui légalise l'avortement (pendant une période d'observation de 5 ans) est promulguée le 17 janvier 1975...

    À noter aussi les années suivantes l'introduction du divorce par consentement mutuel (11 juillet 1975), l'instauration du collège unique dans le but de favoriser un égal accès de tous les enfants à l'enseignement, la généralisation de la mixité dans les écoles, l'abolition de la censure, l'extension de la Sécurité sociale aux non-salariés (une mesure capitale pour les commerçants et les artisans), l'élection du maire de Paris au suffrage universel (31 décembre 1975)...

    VGE reprend à son compte les grands chantiers inaugurés par Pompidou : électricité nucléaire, TGV, Airbus, Ariane, téléphonie.

    Le gouvernement tente par ailleurs d'endiguer la crise économique avec une maladresse qui n'est pas sans rappeler celle de Pierre Mauroy en 1981 :
    – création de l'autorisation administrative de licenciement,
    – forte augmentation des allocations familiales et du minimum vieillesse,
    – relance de l'activité minière avec embauche de nouveaux mineurs, notamment marocains...

    [...]

    Valéry Giscard d'Estaing photographié en 2014 à Loches

    Valéry Giscard d'Estaing photographié en 2014 à Loches (37-Indre-et-Loire, en Touraine, région Centre-Val de Loire) © BALTEL/SIPA Numéro de reportage: 00872239_000003

    Sur l'histoire politique de la France contemporaine, il existe peu de livres aussi clairs et bien documentés que celui de René Rémond : Notre siècle 1918-1988 (Fayard)

     

     

     

    haut de page